jeudi, mars 28, 2024

Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne : une chance pour l’Europe de la Défense ?

Désignée pour remplacer le luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission, la ministre fédérale allemande de la défense est une européenne convaincue. Femme de poigne[efn_note]Anja MAIER, « Ursula von der Leyen, une combattante à la tête de l’Union européenne » in Die Tageszeitung, 3 juillet 2019[/efn_note], elle n’a pas hésité à se positionner en faveur d’une défense européenne – parfois à contre-courant de ses pairs au gouvernement – notamment en impliquant davantage l’Allemagne dans des coopérations industrielles militaires, à l’instar du SCAF et du MGCS. Dans un contexte où l’Allemagne semble envoyer des signaux contraires, cet évènement pourrait être emblématique d’une nouvelle impulsion donnée à l’Europe de la Défense. 

Francophone et europhile convaincue, Ursula von der Leyen défend une vision fédéraliste de l’Europe et sa désignation constitue un signal fort envoyé à l’étranger : elle a ardemment défendu le principe d’autonomie stratégique de l’Union européenne malgré un soutien affiché à l’Alliance atlantique[efn_note]Ursula VON DER LEYEN, « The World Still Needs NATO » inThe New York Times, january 18, 2019[/efn_note]. A ses yeux, l’idée d’une défense européenne plus autonome n’est pas antinomique avec l’OTAN, plaidant ainsi pour plus de coopération sur les enjeux de défense entre les pays occidentaux. En neutralisant ce faux-débat, elle ne fait que souligner un élément qui sauve l’OTAN, non pas en raison de la volonté de surévaluer un lien transatlantique fragilisé que de sauver la cause européenne. Renforcer l’OTAN, c’est renforcer notre propre sécurité collective tout en consolidant, progressivement, l’idéal tant convoité de l’autonomie stratégique européenne. Si le cadre otanien n’existe pas, il n’y a rien en Europe : pas de standardisation, pas d’opérations conjointes, pas d’état-majors. 

  Bien qu’issue d’un gouvernement entretenant la tradition allemande de retenue en matière de défense, elle est partisane d’une ligne plus ferme en matière de politique étrangère pour l’Allemagne et à cet égard, elle a su démontrer son indépendance de la politique allemande et des idées trop précautionneuses qui la dominent. Elle fut à l’origine de l’envoi d’armes aux forces armées kurdes et irakiennes[efn_note]Derek CHOLLET, « Meet Europe’s Rising Defense Stars » in Defenseone.com, march 25, 2015[/efn_note], rompant la tradition allemande de ne pas exporter de matériel militaire vers une zone de conflit. 

   De plus, en sa qualité de Ministre fédérale allemande de la défense, elle s’est rapidement engagée dans la maîtrise du budget pour le matériel militaire, or l’Allemagne a besoin de garanties fortes en matière financière avant de s’investir un peu plus profondément dans des coopérations industrielles. Ainsi, elle a ouvertement critiqué Airbuspour les échecs répétés du contrôle des fournisseurs, des coûts et des délais de livraisons[efn_note] « Germany seeks further 12.7 mln euros from Airbus for A400M delays » in Reuters, august 2, 2016[/efn_note]. Dans les programmes « dimensionnants » que sont le SCAF et le MGCS, il existe une impérieuse nécessité à ne pas reproduire les dysfonctionnements des programmes  antérieurs que furent ceux de l’Eurofighter Typhoon et de l’A400M.À cet égard, Ursula von der Leyen pourrait bien incarner cette garantie et ainsi ériger un pont entre les aspirations françaises en termes de défense européenne et la puissance financière allemande. 

A400M de la Luftwaffe Actualités Défense | Allemagne | Alliances militaires
A400M de la LuftWaffe. U. von der Leyen avait vivement critiqué le pilotage du projet

 Néanmoins, une certaine tension reste palpable entre Français et Allemands sur la coopération industrielle liée au SCAF,  les restrictions à l’exportation irritant Paris[efn_note]Laurent LAGNEAU, « Pour le Président Macron, l’Allemagne fait preuve de ‘’démagogie’’ au sujet des ventes d’armes à l’Arabie Saoudite » in Opex360.com, 27 octobre 2018[/efn_note]. Pourtant au cours d’une tournée européenne, Angela Merkel et von der Leyen avaient émis des promesses confirmant une montée en puissance des engagements de l’Allemagne en termes de défense. Mais ce discours a été mis à mal par les actes, à savoir la restriction à l’export et le délabrement significatif des forces allemandes qui sont obligées de se vampiriser pour maintenir leur engagement dans la force d’intervention européenne rapide[efn_note]Laurent LAGNEAU, « Actuellement, l’armée allemande ne peut pas tenir sa place à la tête de la force de réaction très rapide de l’OTAN » in Opex360.com, 19 février 2018[/efn_note]. 

  Avoir une telle personnalité à la tête de la Commission constitue indéniablement un signal positif envoyé aux partisans d’une Europe de la défense. Toutefois, si sa force de conviction peut s’avérer motrice dans des coopérations industrielles, elle peut être perçue comme risquée dans un contexte de montée des populismes et de contestations croissantes de la supranationalité de l’Union européenne. Il s’agira de trouver un équilibre dans le cheminement vers une intégration militaire approfondie, tout en se gardant de tomber dans un fédéralisme radical à outrance, susceptible d’irriter un peu plus les eurosceptiques et leurs bases électorales qui ne cessent de progresser. Seul l’avenir nous dira si le mandat d’Ursula von der Leyen correspondra – ou non – à une phase d’impulsion et de maturation de l’Europe de la défense. 

Axel Trinquier

Spécialiste des questions européennes de Défense

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