mardi, mars 19, 2024

Les hélicoptères de combat sont-ils trop vulnérables désormais ?

L’US Army a annoncé qu’elle mettait fin au programme FARA visant à developper des hélicoptères de combat et de reconnaissance pour remplacer les OH-58 Kiowa et une partie des AH-64 Apache qu’elle met en œuvre.

Les crédits ainsi libérés, soit plusieurs milliards de dollars dans les années à venir, permettront de financer l’acquisition de nouveaux hélicoptères de manœuvre UH-60M Black Hawk et hélicoptères de transport lourd CH-47F Chinook, alors que les missions de reconnaissance et d’attaque seront assurées par des drones légers et des munitions rôdeuses.

Cette décision, qui a surpris jusqu’aux industriels participant au programme, n’est cependant pas issue d’un nouveau revirement programmatique dont le Pentagone a le secret. En effet, la guerre en Ukraine, a montré l’extrême vulnérabilité des hélicoptères de combat lorsqu’ils s’approchent de la ligne d’engagement, mais aussi toute l’efficacité des drones et munitions rôdeuses, pour s’y substituer.

Les hélicoptères de combat russes neutralisés en Ukraine, et remplacés par les drones de reconnaissance et les munitions rôdeuses

60 sur 133 ! C’est le taux de pertes documentées (détruits ou endommagés) qu’a enregistré la flotte d’hélicoptères de combat Ka-52 Hockum-B des forces armées russes en Ukraine, après deux ans de guerre. Une fois ajoutés les Mi-28N, Mi-24 et Mi-35 perdus, les armées russes auraient perdu 90 voilures tournantes de combat, sur les 135 hélicoptères abattus, détruits au sol ou endommagés depuis le début du conflit.

Ka-52 Hockum-B abattu en Ukraine
Les armées russes ont perdu presque la moitié de leurs 133 Ka-52 Hockum-B depuis le debut du conflit en Ukraine

Ce taux de perte extraordinairement élevé, dépassant de très loin celui de l’aviation tactique pourtant, elle aussi, très exposée, a conduit l’état-major russe à réduire considérablement l’utilisation de ses hélicoptères de combat à proximité de la ligne d’engagement, leur faisant perdre une grande partie de la plus-value opérationnelle qu’ils devaient apporter.

Alors que le rôle des hélicoptères de combat s’est considérablement réduit ces derniers mois le long de la ligne de front en Ukraine, celui des drones de reconnaissance, ainsi que des munitions rôdeuses, est monté en flèche, précisément pour remplir les missions de ces appareils désormais trop exposés.

Loin de représenter une alternative affichant des performances dégradées, aux hélicoptères de reconnaissance, l’emploi des drones plus ou moins légers, pour rechercher et identifier les forces et matériels adverses, a permis de sensiblement accroitre la transparence du champ de bataille, dans son exhaustivité comme dans la durée.

Dans le même temps, les munitions rôdeuses, comme le Lancet russe ou le Switchblade américain, permettent de faire peser une menace constante sur les infrastructures et blindés adverses, se substituant efficacement aux hélicoptères d’attaque dans cette mission.

L’US Army abandonne le programme FARA

Ce constat implacable, et que l’on peut difficilement ignorer, a certainement pesé lourd dans la décision rendue publique, le 8 février par le Pentagone, de mettre fin au programme FARA d’hélicoptères de reconnaissance et d’attaque à hautes performances, lancé en 2018.

Hélicoptères de combat Invictus Bell
Bell avait été retenu avec le B360 Invictus comme l’un des deux finalistes du FARA

Pour justifier cette décision, et tenter d’adoucir la pilule que représentent les 7 Md$ qui seront dépensés d’ici à ce que les derniers engagements contractuels liés à ce programme soient apurés, le chef des acquisitions de l’US Army a indiqué que les budgets ainsi libérés permettront d’accélérer l’acquisition d’autres voilures tournantes, en l’occurrence, les nouveaux hélicoptères de manœuvre UH-60M Black Hawk, ainsi que celle de l’hélicoptère de transport lourd CH-47F Block II Chinook.

Il s’agit d’un profond changement de cap au sein du programme Futur vertical lift, qui doit permettre de moderniser et d’adapter l’ensemble des moyens aéroportés de l’US Army, hélicoptères et drones, aux nouveaux enjeux du champ de bataille.

Il n’y a de cela que quelques années, celle-ci estimait, en effet, qu’il était inutile d’acquérir de nouveaux hélicoptères lourds Chinook, et que les efforts budgétaires devaient porter sur le développement de nouvelles voilures tournantes à très hautes performances.

Deux programmes émergèrent de ce cahier des charges, le Futur Long Range Air Assault, ou FLRAA, destiné à remplacer les Black Hawk, et le Futur Attack Reconnaissance Aircraft, ou FARA, devant remplacer les OH-58 Kiowa de reconnaissance, retirés du service en 2014, ainsi qu’une partie des AH-64 Apache.

Sikorsky V-280 Valor FLRAA
Sikorsky a remporté le programme FLRAA avec le V-280 Valor

En décembre 2022, l’US Army désigna le Bell V-280 Valor, équipé de rotors basculants, comme le vainqueur de la compétition FLRAA, et le profond remaniement présenté cette semaine, n’altère en rien la trajectoire prévue pour ce programme.

Ce n’est pas le cas du programme FARA, dont les prototypes de l’Invictus de Bell, et celui du Raider-X de Sikorsky, sont toujours en cours de construction, sans que l’on sache s’ils pourront aller au bout, alors que le développement de la turbine de nouvelle génération qui devait les propulser, fait également partie des programmes touchés par le remaniement du programme FLV.

Les avancées technologiques développées dans le cadre du FARA, pourront servir de socle pour la conception de futurs programmes, en particulier l’éventuel successeur de l’hélicoptère d’attaque Apache, selon l’US Army, qui est cependant restée très évasive sur cette hypothèse.

Les drones pour assurer les missions des hélicoptères de combat ?

En effet, bien que le sujet ait été à peine abordé lors de l’annonce de la fin de son programme d’hélicoptère de reconnaissance, l’US Army entend se tourner vers l’utilisation massive de drones, en particulier de drones légers de reconnaissance, et de munitions rôdeuses, pour assurer les missions qui devaient lui être confiées, comme c’est aujourd’hui le cas en Ukraine.

Switchblade 600
Les munitions vagandones comme le Switchblade 600 permettent de se subsittuer à la puissance de feu d’un hélicoptère d’attaque.

L’utilisation de ces drones, et particulièrement des plus légers et économiques d’entre eux, simplifie, en effet, sensiblement l’exécution de la mission de reconnaissance et d’attaque, en particulier en se défaisant de toute la difficulté liée à la mise en œuvre, de plus en plus complexe, lourde et onéreuse, des hélicoptères de combat, fussent-ils plus légers, comme c’était le cas de FARA.

En outre, étant par nature d’essence sacrifiable du fait de leur faible cout relatif, ces drones peuvent être employés pour mener des missions dans des zones particulièrement contestées, à proximité desquelles il serait impossible, ou suicidaire, d’envoyer un hélicoptère.

Reste que les drones ne sont pas dénués de certaines faiblesses et vulnérabilités, en particulier, dans le spectre électromagnétique, mais aussi, pour ce qui concerne leur vitesse et autonomie plus réduites. Ils ont alors un périmètre de déploiement plus réduit, face à un hélicoptère capable de voler plusieurs heures à plus de 400 km/h, comme devaient en être capables les FARA.

Les hélicoptères de manœuvre et de transport lourd toujours indispensables

Si l’hélicoptère de reconnaissance et d’attaque est jugé trop vulnérable par le Pentagone, pour exécuter sa mission sur un théâtre de haute intensité, ce n’est pas le cas des hélicoptères de manœuvre et de transport lourd, qui apparaissent au cœur de ses préoccupations aujourd’hui.

CH-47 Chinook
Alors que le Pentagone souhaitait cesser les achats de Ch-47 Chinook en 2018, la ligne de production fut preservée grâce à l’intervention du Congrès. Aujourd’hui, l’Army veut à nouveau se touner ver cet appareil de transport lourd.

Évoluant plus loin de la ligne d’engagement, au-delà de la portée des systèmes antiaériens à courte portée, et trop bas pour pouvoir être engagés par les systèmes antiaériens à moyenne et longue portée, les hélicoptères de transport continuent, en effet, de jouer un rôle clé dans la mobilité des forces, l’évacuation des blessés et le flux logistique.

Ils permettent, ainsi, d’exploiter le plus efficacement possible, les informations remontées par les drones de reconnaissance, pour réagir rapidement à une menace, ou exploiter une faiblesse, en déplaçant sur de courts délais les moyens nécessaires, en application de la nouvelle doctrine All-Domain américaine, qui entend exploiter l’agilité du commandement, de ses moyens de communication et de mobilité, comme un multiplicateur de force dynamique, mais permanent, sur le champ de bataille.

Il n’est donc en rien surprenant, dans ce contexte, que l’essentiel de l’effort de l’armée américaine, concernant sa composante aéroportée, se concentre dorénavant sur ses capacités de transport et de mobilité, avec le programme FLRAA, l’acquisition des nouveaux UH-60M et Chinook CH-47F Block II, plutôt que sur des hélicoptères d’attaque à l’utilité incertaine, et pouvant potentiellement être remplacés avantageusement par l’utilisation massive de drones par les unités au feu, donc au plus près de leurs besoins.

Quels enseignements pour les forces armées européennes

Le changement radical de posture, mis en évidence par l’annulation du programme américain d’hélicoptère de reconnaissance, va certainement prendre à revers de nombreuses armées européennes, en particulier celles qui, ces dernières années, ont annoncé des commandes, parfois importantes, d’hélicoptères de combat.

AH-64E Gardian
Plusieurs pays européens ont annoncé, ces derniers mois, l’acqusition d’hélicoptères d’attaque américains, comme la Pologne qui a commandé 96 Ah-64E Gardian.

Le fait est, l’arbitrage américain, associé au constat fait en Ukraine quant à l’extrême vulnérabilité des hélicoptères lorsqu’ils évoluent à proximité des lignes adverses (là où, précisément, les hélicoptères d’attaque et de reconnaissance sont censés intervenir pour remplir leurs missions), remet en question l’avenir, et surtout la pertinence, de ces appareils, en particulier ceux qui ont été récemment acquis auprès des États-Unis.

En effet, en suivant la logique décrite autour de l’annulation de FARA, on peut supposer que l’US Army entend se défaire d’une grande partie de sa composante d’attaque héliportée, un Apache n’étant pas moins vulnérable que ne l’aurait été un Invictus ou un Raider-X, bien au contraire.

En outre, si l’on accorde du crédit au constat américain, il conviendrait, dans le même temps, d’accroitre et de durcir considérablement l’offre de drones de reconnaissance tactique consommables, comme celle de munitions rôdeuses, précisément pour remplir ces missions qui demeurent indispensables à la conduite d’un engagement moderne.

Drones en Ukraine
Les drones qui devront se substituer aux hélicoptères de reconnaissance, devront être bien plus résistant et fiable que les modèles civils adaptés utilisés, avec succès, par les armées ukrainiennes.

De manière intéressante, on constate, aujourd’hui, que l’intérêt porté aux drones, par les armées, concerne surtout des équipements légers, peu onéreux, et sacrifiables, bien davantage que des appareils sans équipages répliquant les capacités d’avions, d’hélicoptères, de navires ou de blindés, qui souffriraient certainement des mêmes faiblesses et contraintes, que les systèmes qu’ils doivent remplacer.

Dans tous ces domaines, l’expérience acquise ces dernières années et derniers mois, en Ukraine, mais aussi au Moyen-Orient, apparait aujourd’hui bien plus significative, et disruptive, qu’on ne pouvait le penser il y a encore quelques mois.

Article du 9 février en version intégrale jusqu’au 23 mars 2024

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