vendredi, mars 29, 2024

Les armées peuvent-elles louer leurs équipements de Défense ?

A l’occasion de son audition par le comité sénatorial des Affaires Etrangères et de la Sécurité concernant l’examen du budget 2019, le Chef d’Etat-Major de la Marine, l’amiral Christophe Prazuck, a confirmé qu’il entendait louer des hélicoptères pour remplacer les Alouettes III, Dauphins, Panther et Lynx, en attendant le début des livraisons des H160 du programme HIL, reportées en 2018 par la LPM 2019-2025.

Selon lui, les couts de maintenance de beaucoup de ses hélicoptères, dont certains dépassent les 40 années de service, dépassent désormais les 10.000€ par heure de vol, permettant de les remplacer par des appareils plus récents et aptes à la mission, sans surcout pour le budget de fonctionnement de la Marine Nationale. Pour se faire, la Marine envisagerait de louer des hélicoptères Dauphins sur le modèle du contrat conclu pour les appareils de l’école de transformation navale des pilotes d’hélicoptère de Lanvéoc, qui a avantageusement remplacé ses Alouette III par des Dauphins loués à une société belges. En outre, le CEMA a ouvert la porte pour que des H160 puissent être loués de cette manière.

La location des équipements de Défense n’est pas un sujet nouveau pour les armées et l’écosystème Défense. Déjà, à la fin des années 90, la question s’était posée concernant le financement du programme FREMM. Ce fut également un des axes principaux de travail de Jean-Pierre Le Drian lorsqu’il était ministre de la Défense, avec les études concernant les sociétés de projets.

Toutefois, si la solution parait attractive sur le papier, il est rapidement apparu qu’elle était difficile à mettre en œuvre, au delà de contextes très limités, comme les Partenariats Publics Privés utilisés pour les écoles de pilotages de Dax, Lanvéoc  ou Avord, ou la location limitée dans le temps, telle qu’évoquée par la CEMA.

En effet, de très nombreuses contraintes entravent radicalement cette option. En premier lieu, la question du cout, la location étant avant tout un produit financier rémunéré, elle induit nécessairement un surcout sur la valeur des appareils vis-à-vis d’une acquisition directe. D’autres parts, les règles imposées par l’Union Européenne et Eurostat pour ne pas considérer cette location comme un crédit, et donc être intégrée dans la dette publique, sont sévères, avec l’impossibilité de porter le financement sur plus de 75% de la valeur de l’équipement, l’impossibilité de travailler à valeur résiduelle nulle, ainsi qu’un cadre stricte en matière de durée.

Toutefois, les problèmes les plus importants se situent du point de vu de leur emploi opérationnel spécifique aux armées. Ainsi, l’assurance nécessaire pour couvrir les risques d’attrition grève sévèrement le prix de revient de la solution. En outre, les armées doivent respecter un cadre d’utilisation et donc d’usure des équipements, qui est difficilement compatible avec les besoins opérationnels. Enfin, en faisant porter la propriété et le financement d’équipements de Défense par des sociétés privées, les armées comme le ministère s’exposent à des risques en matière de liberté et d’indépendance des décisions, tant pour les équipements que pour leur utilisation. 

Pour ces raisons, le recours à la location est rare, et limité à des contextes souvent non opérationnels, comme les écoles et les missions de services publics. 

En novembre 2017 fut présenté le projet Socle Défense, dont l’objectif était de répondre aux besoins d’équipements et d’augmentation des effectifs des armées, pour atteindre en 2025 un effort de Défense de 75 Md€, soit 2,65% du PIB prévisionnel. Il proposait une approche visant à répondre aux contraintes identifiées en s’appuyant sur un mécanisme de location des équipements. Plutôt que de multiplier les acteurs privés, le Socle Défense proposait de constituer une société de leasing d’économie mixte sous contrôle de l’Etat, alimentée par l’épargne des français via un plan d’épargne, ou par éligibilité à l’assurance-vie. La location des équipements était intégrée dans un cycle de 20 ans, appelé Cycle Défense, durant lequel tous les équipements en services devaient être renouvelés par des équipements de nouvelle génération. La nature globale de la société d’économie mixte permettait de mutualiser le risque d’attrition. En effet, les risques de perdre un porte-avions sont beaucoup moins élevés que ceux de perdre un blindé léger, ou un hélicoptère. Enfin, le projet reposait sur un ensemble de mesures contractuelles et contraignantes, afin d’optimiser les retours fiscaux et sociaux liés aux investissements réalisés pour l’Etat, dans une approche pluridisciplinaire, la Défense à Valorisation Positive. Celle-ci permet à l’écosystème Défense d’être autonome sur l’ensemble de son périmètre budgétaire, y compris pour les couts de personnels des armées.

Un des principaux intérêts du Socle Défense était de permettre un démarrage rapide de la reconstruction des potentiels militaires du pays, sans surcout budgétaire immédiat. Dans le temps, l’Etat devra effectivement faire croitre le budget des armées, mais il aura préalablement encaisséles bénéfices sociauxet fiscaux des investissements réalisés, dépassant largement l’augmentation des couts.

Malgré l’emballement médiatique autour du projet, celui-ci ne fut pas étudié par les autorités. D’une part, elles étaient concentrées sur la conception de la LPM 2019-2025, présentée et perçue comme l’alpha et l’oméga des besoins des armées à ce moment, même au sein des états-majors. En second lieu, même si le modèle respectait les conditions imposées par Eurostat, il était impossible de garantir que le modèle serait accepté par Bruxelles (mais personne n’a posé la question non plus).

Pour autant, et malgré le manque d’enthousiasme des autorités, le projet ne fut pas abandonné. Au contraire, les travaux pour en consolider les aspects critiques ont été réalisés, donnant lieu à l’approfondissement de la Doctrine Défense à Valorisation Positive, comme du volet européen du modèle, le Socle Européen de Défense. Ces deux aspects donnèrent lieu à une présentation lors du Salon EuroSatory 2018, par une conférence organisée par le GICAT.

Avec une LPM qui apparaît désormais comme insuffisante vis-à-vis des besoins ré-émergents d’engagements de haute intensité, et les menaces sur l’application même de cette LPM liées à la faible croissance et au chômage élevé en France, et dont les premiers effets se sont d’ores et déjà fait ressentiralors qu’elle n’a pas encore commencé, le Socle Défense peut, à nouveau, apparaître comme une approche associant pragmatisme et innovation. D’autant que les travaux de consolidation ont permis de construire des alternatives de financements à l’appel à l’épargne, comme les « Sociétés de Programme » présentées dans la Défense à Valorisation Positive, permettant une approche « par programme » et non globale.

Les besoins en matière de renouvellement du parc hélicoptères des 3 armées représenteraient, à ce titre, un excellent « Proof Of Concept » , ou programme d’expérimentation et de démonstration, tout en résolvant un des aspects les plus critiques pour les armées françaises, dans une approche de type « Démonstrateur », qui a l’aval des industriels comme des autorités.

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