jeudi, mars 28, 2024

Faut-il changer la nature de la programmation stratégique et militaire française ?

A l’occasion de la présentation au parlement français de la révision de la Revue Stratégique de 2017, les parlementaires français ont, très majoritairement, salué les efforts et les engagements tenus par les différents gouvernements depuis le vote de la Loi de Programmation Militaire 2019-2025. Comme l’ont souligné plusieurs députés, c’est la première fois, depuis la mise en place du mécanisme des lois de programmation en 1985, que celle-ci est respectée de manière aussi précise. Toutefois, de nombreux parlementaires estiment qu’il devient désormais urgent d’entamer la rédaction d’un nouveau Livre Blanc sur la Sécurité et La Défense Nationale pour prendre en considération les changements radicaux qui sont intervenus, aussi bien dans les domaines technologiques que géopolitiques, depuis la publication du précédent Livre Blanc en 2013.

On peut cependant s’interroger sur la pertinence du modèle qui encadre, aujourd’hui, la Programmation Militaire et Stratégique Française, et sur l’influence que celui-ci a pu avoir sur les décisions aux conséquences souvent désastreuses pour les Armées intervenus entre 1995 et 2017, décisions ayant amené les Armées au bord de la rupture globale, et qui ont très lourdement entamées leurs capacités opérationnelles dans de très nombreux domaines. Si tel est le cas, peut-on, dès lors, imaginer une nouvelle organisation de cette programmation militaire et stratégique, qui permettrait de minimiser les risques de dérives telles que celles que nous avons connu, et qui favoriserait une meilleure coopération entre l’Exécutif, les Chambres Parlementaires et les Etats-Majors, chacun ayant une partie de la réponse et des expertises à ces questions ?

Les échecs de la Programmation Militaire Française ces 15 dernières années

A ce titre, l’analyse des initiatives françaises en matière de programmation militaire sur les 3 derniers quinquennats est riche d’enseignements. Qu’il s’agisse d’un manque d’intérêt politique pour les questions de défense comme sous le quinquennat Sarkozy, ou d’arbitrages défavorables et parfois biaisés comme sous le quinquennat Hollande, la programmation militaire française, Livre Blanc et LPM lors de ces 10 années, fut extrêmement chaotique. Et sans l’implication forte de Jean-Yves le Drian et des chefs d’Etat-Majors de l’époque pour contrer les arbitrages potentiellement désastreux proposés par Bercy et le premier Ministre Jean-marc Eyraud, les armées françaises auraient bien pu perdre, au delà des effectifs qu’elles ont effectivement vu disparaitre sur l’autel des coupes budgétaires et d’une appréciation erronée de la menace, des capacités et des savoir-faire stratégiques, comme en matière de chars de combat, de patrouille maritime voire même la composante aérienne de la dissuasion nationale. Car si les armées françaises sont parfois qualifiées aujourd’hui « d’armée d’échantillons », avec seulement 200 chars et 15 frégates, le ministre de La Défense et les chefs d’Etat-Majors avaient alors pesé de tout leur poids pour préserver ces mêmes échantillons, et permettre, le moment venu, de remonter en puissance, notamment dans le domaine du combat de haute intensité.

le drian hollande Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
Alors Ministre de La Défense du gouvernement de Jean-Marc Eyraud, Jean-Yves Le Drian a joué un rôle déterminant pour préserver certaines capacités opérationnelles, même en format réduit, alors que des arbitrages autrement plus radicaux étaient sur la table de Francois Hollande.

On peut naturellement faire peser la responsabilité de ces décisions sur les chefs d’état et de gouvernement du moment. Pour autant, la structure même de la programmation militaire française a probablement favorisé ces dérives. Ainsi, la conception du Livre Blanc, qui se veut le cadre stratégique identifiant les menaces présentes et à venir, et donnant les objectifs qualitatifs et quantitatifs aux armées pour les contrer, est avant tout un exercice politique piloté par l’exécutif lui-même. Dès lors, il n’est guère difficile de mettre en cohérence les objectifs fixés par le Livre Blanc et ceux visés par la Loi de Programmation elle-même, ceux-ci étant issus du même moule de pensées. En outre, aucun mécanisme n’existe aujourd’hui, au delà de la décision de l’exécutif lui-même, pour amener à une révision du Livre Blanc ou de la LPM en réponse à des évolutions stratégiques majeures survenues lors de leur exécution. Ainsi, le Livre Blanc de 2013 fut publié quelques semaines aprés l’intervention française au Mali dans le cadre de l’opération Serval et en amont de l’intervention Sangaris en Centre-Afrique, sans tenir compte de ces derniers. L’annexion de la Crimée par la Russie quelques mois plus tard, suivie par le conflit dans le Donbass soutenu par Moscou n’entraina pas, non plus, de remise à plat du contexte stratégique et de ses conséquences sur le format et les ambitions des armées françaises, définis dans le livre blanc de 2013.

A ce titre, l’exercice de la Revue Stratégique de 2017, et de sa révision en 2021, n’est pas plus pertinent, puisque consigne avait été donnée au comité de rédaction de rester dans le cadre du LBSDN 2013, notamment pour ce qui concernait le format et l’organisation des Armées françaises. En outre, cette RS 2017 devait également permettre de définir les axes de la nouvelle Loi de Programmation Militaire 2019-2025, tout en spécifiant ab initio que la croissance budgétaire autorisée devait respecter le plan présenté par le candidat Macron lors de la campagne électorale présidentielle, à savoir une croissance de 1,7 Md€ pendant 4 ans puis de 3 Md€ pendant 2 ans, pour atteindre un effort de défense de 2% du PIB en 2025, conformément aux engagements de la France vis-à-vis de l’OTAN. Fort heureusement pour les Armées françaises, le président Macron respecta ses engagements, y compris lors de la crise COVID. Mais force est de constater que cela tient davantage de la personnalité et de la stratégie du Président de la République, qu’au mécanisme lui-même, et qu’un autre que lui, plus attaché par exemple à la maitrise des déficits, aurait très bien pu arbitrer défavorablement dans ce domaine, entrainant des dégâts irrémédiables à court et moyen termes aux armées.

Une programmation militaire sur 3 piliers


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