L’Agence européenne de défense tire la sonnette d’alarme : les investissements en recherche militaire sont au point mort

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Malgré une augmentation globale des dépenses totales de Défense en Europe depuis 2014, l’Agence européenne de défense (AED) souligne dans son dernier rapport une diminution jugée «inquiétante» des achats d’équipements et des dépenses consacrées à la recherche militaire (R&D), ces dernières peinant à retrouver leurs niveaux de 2008.


Une tendance domine les débats en matière de défense européenne depuis quelques années, celle de l’augmentation globale des dépenses de défenses au sein de l’UE puisqu’elles ont atteint un volume de 223 milliards d’euros en 2018 (+3% depuis 2017). Indéniablement, il semble extrêmement positif et rassurant que nombre d’Etats européens aient enfin pris conscience de l’importance de leur propre outil militaire au sein d’un environnement stratégique profondément dégradé. En 2018, 14 Etats membres ont dédié pas moins de 20% de leurs budgets Défense en équipement, contre 7 en 2014, remplissant de fait leurs engagements pris lors du sommet otanien de Newport en 2014. Le rapport signale également que 21 pays consacrent plus de 10% de leurs dépenses de Défense à l’acquisition et à la modernisation de leurs équipements.

En ce sens, cela ne peut que réconforter les partisans d’un renforcement de l’OTAN mais également les fervents défenseurs d’une autonomie stratégique européenne. Et pourtant, de l’aveu même du directeur général de l’AED, Jorge Domecq, les résultats du rapport « brossent un tableau mitigé » et souligne une tendance qu’il qualifie de « préoccupante ». En effet, outre le fait que nombre d’Etats européens ne font que reconquérir des compétences autrefois acquises, le rapport de l’AED met en évidence la faiblesse endémique des investissements faits dans la R&D et la recherche et technologie (R&T), mais aussi dans les achats d’équipements de manufacture européenne. Dans les faits donc, les investissements consacrés par les Etats membres depuis la mise en lumière des crises syrienne et ukrainienne ne profitent pas assez rapidement au renouvellement capacitaire et à la modernisation des forces armées européennes, un véritable non-sens au regard des efforts budgétaires concédés par les Européens.

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Paradoxalement, alors même que la chute des investissements en R&T militaire s’est stabilisé dès 2010 aux alentours de 1,3 à 1,1% de part des dépenses totales de Défense, c’est au déclenchement de la crise ukrainienne en 2014 que la chute s’est intensifiée pour atteindre la somme dérisoire de 1,6 milliards d’euros. Cette dégringolade peut en partie s’expliquer par un achat conséquent de matériels militaires auprès de Washington, les ventes d’armes américaines retrouvant un volume équivalent aux montants de 1991, à la chute de l’URSS.

Ce sont bien entendu les industries de Défense nationales qui en pâtissent. La chute toujours plus importante des budgets alloués à la recherche militaire – passant de 3 milliards d’euros en 2006 à 2,1 milliards en 2018 – souligne un désintérêt profond des Européens pour un domaine pourtant attribut de puissance avéré. L’Europe accuse un retard technologique certain, accentué par le rattrapage ces dernières années des Russes et des Chinois, tandis qu’aux États-Unis on évoque déjà une « septième révolution technologique », se concentrant principalement sur les nanotechnologies et creusant un peu plus le fossé technologique avec l’Europe.

Une solution intéressante qui pourrait en partie pallier à ce déficit technologique résiderait dans un investissement massif dans les programmes européens. Mais alors même que les pays européens ont promis de coopérer entre eux à hauteur minimum de 35% de leurs équipements, le rapport de l’AED a calculé que seul 17,8% des dépenses d’équipements – soit 6,4 milliards d’euros – relèvent de programmes européens. Un chiffre qui n’atteint même pas 10% pour la recherche et l’innovation. Pourtant, un engagement prononcé dans de telles coopérations permettrait de stimuler les tissus industriels propres à chaque Etat participant mais aussi et surtout, de développer des compétences clés et briques technologiques indispensables à la pérennité des BITD européennes.

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S’engager dans un programme aussi ambitieux que le Système de Combat Aérien Futur (SCAF) est un signal positif envoyé à l’industrie et à la recherche militaire car d’une part, il permet de stimuler les tissus industriels français, allemand et espagnol par des investissements publics dans la R&D, et d’autre part, parce qu’il offre l’opportunité de développer des compétences au sein des bureaux d’études, indispensables pour prétendre maintenir une supériorité aérienne européenne dans les décennies à venir.

Outre la crainte d’un décrochage technologique donc, c’est véritablement le risque d’une perte totale de contrôle sur le creuset industriel de haute technologique en Europe dont il est question. A cet égard, il n’est pas surprenant de constater la pénétration de divers fonds souverains, fonds d’investissements ou groupes étrangers, ces dernières années, dans le capital d’entreprises européennes de pointe dont les activités sont directement ou indirectement liées à la Défense. Ces incursions étrangères peuvent s’expliquer par une difficulté pour ces entreprises à trouver des financements suffisants et le lancement prochain d’un Fonds européen de Défense (FED) doté de 13 milliards d’euros constituerait un élément de réponse intelligent et pragmatique. A cet égard, la proposition de la nouvelle présidence finlandaise de l’UE de réduire de moitié les crédits du futur FED, à la lumière du constat dressé par l’AED, est un contresens absurde et relève d’un quasi-sabotage de la défense « made in UE ».

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Ainsi, cette fameuse voie européenne, celle où des partenaires européens développeraient leur volet capacitaire de manière significative ; cette Europe évoluée qui agirait par elle-même en s’investissant plus en avant dans des coopérations industrielles ciblée, au bénéfice d’une plus grande autonomie dans un paysage transatlantique en phase de recomposition ; cette Europe ci nécessite des fonds plus importants, de la créativité mais surtout une volonté politique déterminante qui lui fait aujourd’hui cruellement défaut.


Axel TrinquierQuestions de défense européenne

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