L’US Navy et l’Administration Trump s’opposent sur les priorités d’équipement

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Lors de la campagne présidentielle de 2016, le candidat Trump intégra à son programme l’augmentation du format de l’US Navy à 355 bâtiments d’ici à 2025, contre 297 aujourd’hui. Mais depuis son élection à la Maison Blanche, l’US Navy n’a eu de cesse que de remettre en cause ce format, et surtout le calendrier qui l’accompagne, même s’il est désormais question d’atteindre l’objectif en 2030. Lors d’une conférence de presse donnée le 9 décembre, le secrétaire à la Marine par intérim Thomas Modly rappela qu’il entendait bien respecter cet engagement, et demanda à l’US Navy de lui fournir un calendrier industriel au plus vite pour y parvenir.

L’Amiral Michael Gilday, chef des opérations navales au Pentagone, a indirectement répondu à cette « exigence présidentielle », ce 11 décembre, en précisant que pour l’heure, la priorité de l’US Navy était de reconstituer sa composante stratégique, en remplaceant des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la classe Ohio datant des années 80 et 90, par les nouveaux navires de la classe Columbia. Or, ce seul chantier consomme déjà 40% des crédits d’investissement de l’US Navy, interdisant toute augmentation sensible du format global pour les 10 années à venir. Ce bras de fer entamé par la Maison Blanche et la Pentagone par voie de presse interposée, trouve sa source dans des agendas très divergents entre ses acteurs, et des objectifs aux antipodes les uns des autres.

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Admission au service actif du SSN 790 South Dakota de la classe Virginia.

Pour l’administration Trump, il s’agit avant tout de tenter de présenter un bilan international de la première mandature Trump respectant, autant que faire ce peu, les engagements de campagne du versatile président américain. En effet, celui-ci a fait face, en réalité, à de nombreux échecs concernant les affaires internationales et de Défense, en premier lieu desquels la résistance farouche du Congrès contre le financement du Mur devant bloquer l’immigration illégale le long de la frontière mexicaine. Mais le président Trump devra également assumer les échecs au Moyen-Orient, notamment face à l’Iran après l’annulation in extremis de frappes aériennes, ou face à la Syrie, la Russie et la Turquie, dans la calamiteuse gestion du désengagement américain de la frontière nord syrienne en abandonnant les alliés kurdes du YPG face à l’offensive turque. Il n’obtint pas de meilleurs résultats face à l’habile dirigeant Nord Coréen Kim Jung Un, et la guerre commerciale engagée contre Pékin semble simplement avoir légèrement précipité l’émergence du dragon asiatique sur la scène internationale, et son rapprochement avec Moscou. Enfin, en Europe, l’image des Etats-Unis a été largement entamée autour de plusieurs dossiers, que ce soit les menaces de représailles commerciales lorsqu’un pays ne fléchissait pas assez vite le genou, ou concernant le détricotage méticuleux des accords post-guerre froide avec la Russie, comme le traité INF ou Open Sky.

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De fait, en appelant l’US Navy à mettre en oeuvre un plan pour atteindre un objectif de 355 navires, Thomas Modly est évidement en recherche de Quick Win, des gains rapides pouvant être mis au crédit de l’action présidentielle. Le ton employé par ce dernier, notamment lorsqu’il précise qu’il n’est pas du ressort de l’US navy de discuter d’objectifs posés par le président, qui plus est lorsque cet objectif était intégré aux promesses de campagne, en démontre le caractère purement politique. Il faut dire que l’US Navy ne peut guère se reposer sur un bilan particulièrement élogieux ces 30 dernières années en matière de programmes d’équipement. Entre le programme de sous-marins nucléaire d’attaque Sea Wolf qui dut être suspendu puis annulé au bout de 3 unités pour des dépassements de couts importants, le programme de destroyers Zumwalt qui connu le même destin, les Littoral Combat Ships qui, mêmes si ils sont produits en plus grande quantité, affichent des performances opérationnelles les rendant impropres au déploiement, ou l’absence de programme pour remplacer les destroyers A.Burke et les croiseurs Ticonderoga, l’US Navy a été un gouffre financier extraordinaire entre l’arrivée de Bill Clinton à la Maison Blanche et le départ de Barack Obama. Elle n’était pas la seule, l’US Army, l’US Air Force et même le Marines Corps dépensèrent également des fortunes en programmes mort-nés. La fin de l’hémorragie budgétaire est, à ce titre, bien davantage à mettre au crédit du général Mattis, Secrétaire à La Défense de Donald Trump pendant un peu plus de 2 ans après son élection, qu’aux arbitrages du président lui-même.

Les croiseurs Aegis de la classe Ticonderoga de lUS Navy verront leur vie operationelle etendue dans lattente dun remplacant Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | Etats-Unis
L’US Navy n’a toujours pas entamé le remplacement des croiseurs de la classe Ticonderoga

Dans le même temps, l’US Navy se doit de moderniser sa composante stratégique. Non pas, comme on pourrait l’imaginer, pour faire face aux progrès rapides des capacités stratégiques adverses, même si les nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins russes de la classe Borei s’avèrent à la fois performants et discrets. Il s’agit avant tout de préserver le rang et la crédibilité de l’US Navy face à l’entrée en service des futurs bombardiers stratégiques B-21 Raiders qui arriveront dans les escadrilles au cours de la prochaine décennie, ainsi que les nouveaux missiles balistiques hypersoniques qui pourront être mis en oeuvre par l’US Army et l’US Air Force. La composante sous-marine restant, aujourd’hui encore, la plus efficace et la moins vulnérable de la triade stratégique américaine, l’US Navy cherche surtout à préserver ce potentiel et son rang dans la hiérarchie militaire américaine pour les décennies à venir.

On peut également imaginer qu’il s’agit là d’un calcul tactique de l’Etat-Major naval américain, pour obtenir des crédits supplémentaires sans avoir à re-orienter des crédits en interne, afin de respecter les engagements présidentiels. Aux Etats-Unis comme en France, la dissuasion a un caractère sanctuarisé pour l’élite politique. En faisant porter sur le renouvellement de cette composante stratégique pour la sécurité du pays l’impossibilité de satisfaire aux exigences présidentielles, il est possible que l’objectif soit de convaincre l’administration US comme le Congrès de la nécessité d’augmenter ses crédits d’investissement. Il faut rappeler que l’US navy, du fait des nombreux échecs de programmes passés déjà exposés, et d’une catastrophique gestion de la planification budgétaire et industrielle durant les 20 dernières années, se retrouve avec une flotte dont la moyenne d’âge dépasse les 25 ans, et de nombreux programmes urgents se présentant simultanément : programme de frégates FFG/X, programme de Croiseurs Nouvelle génération, programme de SNA nouvelle génération, remplacement des porte-avions de la classe Nimitz, des LHD de la classe Wasp, ainsi que de l’étude d’une nouvelle classe de destroyers, pour ne parler que des unités navales combattantes. La composante logistique du Sea Lift Command est, elle, dans un état dramatique, avec des navires logistiques affichant une moyenne d’âge de 40 ans. En d’autres termes, tout arrive au même moment, et il est probable que, dans les années à venir, le format de l’US Navy soit davantage orienté à la baisse du fait des retraits du service actif de navires trop âgés, qu’à la hausse comme exigé par Thomas Modly.

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PAN ford Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | Etats-Unis
L’US Navy doit remplacer les 10 porte-avions de type Nimitz, au prix de plus de 10 Md$ par navire

L’opposition en cours à Washington est relativement classique dans la vie politique américaine. Toutefois, elle intervient aujourd’hui alors que plusieurs pays, dont la Russie et surtout la Chine, ont réussi la transformation de leur outil industriel naval, pour entamer un effort de modernisation important de leurs flottes. Le contraste est d’ailleurs saisissant lorsque l’on observe la montée en puissance de la flotte chinoise, qui aujourd’hui aligne plus de 450 navires malgré un tonnage global inférieur à celui de de l’US navy. En 2030, selon les projections de production de l’industrie navale chinoise, il est probable que la marine de l’Armée Populaire de Libération alignera plus de 550 navires, et un tonnage au moins égal à celui de la marine américaine, avec, par ailleurs, un âge moyen des navires nettement inférieur à celle-ci. Difficile d’imaginer, dans ces conditions, conserver longtemps l’ascendant sur les mers pour l’US navy.

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