Acquisition du système MQ-9 SkyGuardian par l’Australie : poursuite de la stratégie du « pivot » américain ou affirmation des visées régionales du pays ?

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Depuis 2016 l’Australie poursuit la politique de réarmement la plus volontariste des pays occidentaux. Considérée comme le « porte-avion » américain permanent du Pacifique Sud, l’Australie semble vouloir poursuivre une politique d’autonomisation stratégique de ses forces armées, à l’instar du Japon, sans pour autant négliger son alliance avec les Etats-Unis. Cette politique passe par l’affirmation de sa puissance aérienne et informationnelle matérialisée par le choix, ces derniers jours, du drone MQ-9B

Afin de saisir la portée de cette acquisition, il importe de saisir sa place dans l’ensemble du réarmement Australien et par voie de conséquence de saisir l’environnement géostratégique du pays et la perception qu’en a l’état Australien. Cet environnement est complexe et fortement marqué par la notion de « coopétition », caractéristique de la donne internationale mais accentuant les risques pour un pays dans la position de l’Australie. Etat aux dimensions continentales mais à la démographie fragile (23 millions d’habitants), l’Australie est au carrefour de la zone indopacifique et se positionne comme l’un de ses verrous entre l’Asie du sud-est et le pacifique-sud. C’est dès lors un allié militaire- et culturel- clé pour les Etats-Unis. Il serait en revanche erroné de penser que l’Australie ne se positionne stratégiquement que dans une perspective anglo-saxonne.

Le destroyer AEGIS de defense aerienne HMAS Hobart de la Marine Royale Australienne Analyses Défense | Australie | Contrats et Appels d'offre Défense
La Royal Australian Navy a reçu ses premiers destroyers Aegis de la classe Hobart pour assurer La Défense anti-aérienne et anti-missiles de l’île.

C’est précisément ce que semble faire apparaitre du « Defense White Paper », équivalent de notre Livre Blanc, publié en 2016. L’Australie appréhende son outil militaire selon trois cercles : la défense de son territoire, la défense de ses intérêts régionaux et l’affirmation de son alliance avec l’Etats-Unis.  Concernant la défense de son territoire, l’Australie entend maitriser ses approches via des moyens de surveillance et de patrouille maritime imposants. Toutefois la taille critique de son territoire malgré des bassins de population très concentrés les contraints à prévoir d’emporter la décision à terre via une défense de type « Limes », donnant alors la part belle à l’action aéroterrestre. Sur le plan régional, l’Australie comprend que son ancienne « prépondérance » est menacée. La Chine, nonobstant d’inquiéter Canberra en mer de Chine méridionale, fait de depuis 10 ans une percée d’influence dans les républiques mélanésienne, auparavant sphères d’influences privilégiées de l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Par ailleurs l’Indonésie émergente, écrasante démographiquement, est également une menace pour l’Australie par ses velléités régionales. Le « Defense White Paper » la désigne de manière à peine masquée en insistant sur l’importance des partenariats que Canberra entretien avec la Papouasie Nouvelle-Guinée ainsi que le Timor-Oriental.

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Cette appréhension de ses intérêts régionaux justifie des acquisitions en moyens de ISR stratégiques, le renforcement de ses forces terrestres ainsi que la volonté de se doter de capacités amphibies et donc de projection de forces. Une projection qui reposerait sur l’augmentation des capacités spatiale – et de défense spatiales- tout comme de renseignement du pays. En tout état de cause il semblerait qu’il s’agit purement et simplement de doter le pays d’un système C4ISTAR à vocation expéditionnaire. Enfin, l’affirmation de l’alliance avec les Etats-Unis n’est ni surprenante ni contradictoire. Ces derniers forment un parapluie avantageux pour une Australie relativement isolée et en cours de réarmement. Mieux, ce réarmement fait également le jeu du Pentagone qui a besoin de disposer d’alliés-cadres interopérables mais autonomes en opération. Contrairement à la majorité des pays Européens pro-OTAN qui semblent parfois devancer la volonté américaine en termes de vassalisation militaire.

L’effort financier est au rendez-vous. Il est prévu que le gouvernement augmente le budget alloué aux forces armées en le portant à 2% du PIB à l’horizon 2021 et 195 milliards de dollars sur 10 ans. En valeurs relatives et rapporté à la population australienne, il s’agit d’un effort trois fois supérieur à celui de la France. De quoi moderniser et incrémenter, essentiellement depuis 2014, les capacités de chacune des fonctions stratégiques mentionnées : près d’un millier de blindés Thalès Hawkei pour l’armée de terre Australienne,  des drones ISR maritimes stratégique MQ4 Triton, une douzaine de sous-marins Naval Group Barracuda à propulsion conventionnelle mais aussi la modernisation récente de ses capacités amphibies avec l’acquisition de deux LHD de la classe Canberra à 27,500 tonnes de tirant d’eau capables de transporter un bataillon d’Infanterie, 110  véhicules et une vingtaine d’hélicoptères. Enfin la Marine Australienne souhaite acquérir à terme d’autres vecteur : neuf frégates de BAE System, Destroyers AA de la classe Hobart, navire de guerre des mines, ect…. Tous les vecteurs acquis ici ont la caractéristique d’être dimensionnés et conçus pour des opérations défensives ou de projections limitées. De facto, ils semblent se trouver en adéquation avec les visées de sécurité et d’influence régionales « indopacifiques » (en particulier Asie de l’Est et Pacifique Sud) de l’Australie tout comme avec la stratégie de « containment » américaine face à la Chine.

GA MQ9B Skygadian Analyses Défense | Australie | Contrats et Appels d'offre Défense
Sle MQ-9B Skygardian de general Atomics est une version améliorée du drone MALE Reaper

L’acquisition la plus récente, les MQ9 B SkyGuardian, seize vecteurs pour une mise en service en 2023, constituent à ce stade l’étape la plus symbolique de cet effort de réarmement. Car ils transcendent l’ensemble des capacités et des besoins stratégiques propres à L’Australie. Par ailleurs ils sont le marqueur de la puissance militaire occidentale en regroupant les deux items principaux qui la caractérise : info-valorisation et maitrise du tempo opérationnel. Un drone stratégique de la portée du MQ 9 B est par ailleurs synonyme du passage d’un palier technologique et organisationnel avancé et donc souverain. En effet, la mise en place d’orbites de drone nécessitent la maitrise de capacités spatiales pour le contrôle du vecteur ainsi que la gestion de ses flux de données – montantes et descendantes – très gourmands en bande-passante. Des données nécessitant des centres de traitements, de fusion et dissémination. Et enfin, l’inclusion au sein d’architectures de commandement et de contrôle nécessaire à son appui aux forces…. Des capacités que très peu de pays sont en mesure de fournir.

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Le SkyGuardian est une version modernisée et plus souple d’emploi que le « Reaper ». Avec ses 42H de vol, il est en mesure d’accroitre l’endurance de ses orbites, composées de plusieurs drones, facilitant de facto l’acquisition de la permanence des fonctions ISR. Il dispose a ces fins de capteurs EO/IR, d’un radar multimode Linx d’une portée de plus 80km (SAR, Dynamic Targeting…), il peut en outre passer rapidement sur le mode SeaGuardian avec l’ajout d’un radar dédié de surveillance maritime. On en sait peu sur la commande ou l’utilisation d’autres effecteurs/capteurs. Autre spécificité importante, l’Australie a passé la commande d’une version armée, capable de délivrer des munitions guidées de précision (Laser ou GPS). Cela n’a rien d’anodin, outre l’allonge, la permanence et l’endurance nécessaires aux missions ISR l’ajout de rails de munitions permet au drone de se positionner sur l’ensemble de la boucle décisionnelle OODA en la fluidifiant : ciblage d’opportunité, appui-feu air-sol, réactivité accrue des forces déployées…. Un drone MALE est une brique essentielle pour toute nation souhaitant se doter d’un outil de renseignement stratégique et tactique tout en étant en mesure de traiter rapidement des cibles. Cela contribue à accélérer le tempo opérationnel jusqu’à la saturation de l’adversaire. Par ailleurs l’Australie semble avoir pris la mesure de l’accroissement de la prolifération des capacités A2AD, auxquels les drones stratégiques, et leur environnement opérationnel (satellites, stations-sols de théâtre…) se montrent particulièrement vulnérables. Qu’il s’agisse de ROIM, de GEOINT, d’info-valorisation ou de combat collaboratif, le drone MALE est un outil difficilement contournable, à plus fort titre dans de futurs théâtres indopacifiques semi voire non permissifs. Cela combiné au renforcement de sa flotte aérienne de combat, la modernisation de ses forces terrestres et maritimes, l’Australie semble vouloir devenir une puissance militaire sur laquelle il faudra désormais compter.

EA18G Growler Analyses Défense | Australie | Contrats et Appels d'offre Défense
L’Australie a commandé des avions de guerre électronique Growler pour assurer les missions de brouillage et de lutte contre La Défense anti-aérienne adverse.

Malgré ce volontarisme, L’Australie devra toutefois faire face aux mêmes défis qui touchent de plein fouet les armées occidentales : guerre électronique, capacités SEAD, utilisation de l’IA, massification de ses effectifs…. Si la tonalité de son réarmement plaide pour une forte acuité dans ce sens, Canberra doit en revanche faire face à une crise du recrutement qui touche la plupart des pays occidentaux à des degrés variés (Norvège, Suède, Allemagne…). Le faible vivier démographique, le manque d’attractivité salariale des carrières militaires dans des pays malgré tout prospères et l’affaiblissement de l’esprit de défense sont autant de maux touchant de plein fouet l’Australie. Il n’en demeure pas moins que le volontarisme militaire de Canberra devrait être pris en exemple par tout les états Européens quels que soient leur degré d’atlantisme. Cette nation est fortement liée aux EU dans le domaine militaire : « Anzus », « Fives Eyes » …. Une situation d’autant plus compréhensible que sa vulnérabilité stratégique est bien réelle à moyen-terme. Ce qui n’est plus vraiment le cas en Europe qui a une nette tendance à faire siens les fantasmes stratégiques des Néo-Conservateurs américains.

Pour autant cette « vulnérabilité » australienne ne lui empêche pas de poursuivre, comme on l’a vu, une politique militaire directement adaptée à ses besoins régionaux et de défense de son territoire. Jusque dans la diversification des acquisitions de défense de Canberra, qui semble se garder d’acheter uniquement américain et souhaite développer à terme sa BITD. Le volume de vente avec la France via Thalès et Naval Group en témoigne. On pourrait l’interpréter par une volonté de rapprochement avec le dernier pays d’Europe présent dans le Pacifique-Sud et longtemps conspué pour son « néo-colonialisme » en Nouvelle-Calédonie. La donne a changé et la France dispose maintenant d’un véritable levier d’influence dans une région qui pourrait devenir critique à l’avenir en termes d’intégrité territoriale – la chine ayant des visées à Nouméa- mais aussi via l’augmentation des échanges dans l’axe Asie-Pacifique-Amérique latine. La posture de l’Australie semble alors très équilibrée et conforme à ses intérêts de puissance. On est à mille lieues d’un tropisme atlantiste Polonais ou Allemand. Ou bien des effets déclaratoires de la France sur l’autonomie stratégique mais peu suivis d’actes.

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