La Chine a-t-elle surpris le Pentagone ?

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Depuis quelques mois, les observateurs de l’environnement Défense aux Etats-Unis n’auront pas manqué de remarquer la fébrilité évidente qui agite aussi bien le Pentagone que les Think tank et institutions politiques américaines. Et si en Europe, notre attention est principalement focalisée sur le Moyen-orient et la Russie, à Washington, il n’est question que d’un unique sujet : La Chine. Au point que l’on peut désormais se demander si, à l’instar de l’Empire Japonais dans les années 30, le developpement de l’outil militaire chinois n’aurait pas totalement pris au dépourvu le Pentagone …

Il faut admettre que la Chine a remarquablement mené la modernisation de son outil de défense, comme elle mena la réforme économique qui la propulsa du statut de nation émergente à celui de super-puissance mondiale en moins de 30 ans. En effet, après l’effondrement du bloc soviétique, et en dépit du massacre de la place Tian’anmen, Pékin a su se positionner comme un partenaire économique et politique de l’occident sur la majorité des dossiers internationaux, attirant les investissements, et les transferts de technologie, avec la promesse d’un immense marché en construction, et d’une main d’Å“uvre performante et bon marché. Toutes les grandes entreprises occidentales, américaines comme européennes, jouèrent des coudes pour s’attirer les bonnes grâces du Parti communiste Chinois qui gardait la main mise sur l’ensemble des dossiers stratégiques du pays. Et les Etats occidentaux fermèrent même les yeux sur les évidentes preuves de rétro-ingeniering et d’espionnage qui se présentaient à eux, pour ne pas se froisser avec la poule aux Å“ufs d’or.

Harbon Z9 chinois Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | Coopération internationale technologique Défense
L’hélicoptère de combat Z-9 est une version sous licence modifiée du dauphin d’aérospatial

Sur le plan international, Pékin en profita pour nouer des relations étroites avec de nombreuses entreprises de défense internationales, de sorte à pouvoir moderniser ses forces, dans un effort qui prit sa source à la fin des années 80, mais qui se poursuivit jusqu’il y a peu : systèmes embarqués italiens, électronique israélienne, missiles et hélicoptères français, matériaux américains, personnes ne voulait laisser ces marchés prometteurs. Dans le même temps, et de manière aussi discrète qu’efficace, les industries de défense chinoises faisaient le plein de compétences, s’appuyant sur les technologies acquises (ou volées) aux occidentaux et aux russes, ainsi que sur une nouvelle génération d’ingénieurs et de chercheurs, souvent formés en parti en Europe et aux Etats-Unis. C’est ainsi que cette génération de techniciens très compétents vit le jour dans les grands pôles industriels de Pékin ou Shanghai. Là encore, personne ne remarqua le discret basculement de Pékin de la position de client à celui de fabricant de ses équipements de défense, et ce en dépit de l’apparition de nouveaux avions de combat comme le J10 ou de navires étonnamment modernes comme les destroyers Type 052 ou les sous-marins Type 039. Pas plus qu’on ne prêta attention à l’embargo de fait imposé progressivement par la diplomatie chinoise au sujet de Taiwan, en imposant aux entreprises occidentales de choisir entre Pékin et Taipei, avant d’étendre cet embargo non pas aux seules entreprises, mais à leurs pays de tutelle. C’est ainsi que de nombreuses sociétés de défense européennes et américaines se virent contraintes de retirer l’ile indépendante depuis 1947 de leur liste de clients, pour ne pas subir l’ire du Parti Communiste Chinois.

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La Chine continua ainsi à mener l’occident par le bout du nez jusqu’en 2012, et l’arrivée au pouvoir de l’actuel président Xi Jinping. Nommé secrétaire général du Parti communiste et président de la commission militaire centrale le 15 Novembre 2012, le « jeune » dirigeant chinois de 59 ans entreprit rapidement de faire sortir la Chine de sa position ambiguë, pour mettre en oeuvre un programme ouvertement nationaliste, basé sur une réforme rapide de l’Armée Populaire de Libération passant par la professionnalisation d’une partie des effectifs et la déflation du reste, ainsi que l’accélération des investissements de défense. Ainsi, le budget de La Défense chinois aura été multiplié par 8 en moins de 20 années, avec une progression de plus de 10% par an depuis 2012, pour être aujourd’hui le second budget mondial après les Etats-Unis. Parallèlement, l’industrie de défense chinoise et la recherche défense se virent dotées de crédits supplémentaires très importants, entrainant l’accélération des programmes de recherche et des livraisons, grâce notamment à la modernisation et l’extension des infrastructures industrielles. Ainsi, à titre d’exemple dans le domaine navale, la production de navires de combat passa de moins de 50.000 tonnes par an en 2012, à plus de 150.000 tonnes aujourd’hui. Et pourtant, jusqu’en 2015, l’occident continua à voir en la Chine un partenaire politique et économique privilégié, et nullement un concurrent ou un adversaire potentiel.

Corvette Type056 Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | Coopération internationale technologique Défense
La corvette Type 056 et 056A a été construite à plus de 40 exemplaires en quelques années par l’industrie navale chinoise

Ce qui devait arriver, finit par arriver. En quelques années seulement, Pékin se dota d’une base industrielle et technologique produisant des équipements comparables aux équipements en service dans les forces occidentales, avec des cadences de production oubliées depuis longtemps en Europe ou aux Etats-Unis : plus de 1500 nouveaux blindés chaque année, 600 nouveaux avions, 25 navires de combat et 3 sous-marins de différents types. En outre, de nombreux systèmes encore expérimentaux en occident seraient déjà entrés en service dans les forces chinoises, comme les missiles et planeurs hypersoniques. Même dans les technologies de rupture, comme les armes à énergie dirigée, la propulsion électromagnétique ou les radars quantiques, les ingénieurs chinois semblent avoir pris le pas sur leurs homologues américains et européens. Ainsi parées, avec une nouvelle force armée en pleine mutation conçue non seulement pour protéger le territoire nationale, comme ce fut le cas de l’APL pendant 75 ans, mais pour pouvoir constituer des corps expéditionnaires pouvant être projetés, et pour, le cas échéant, prendre l’ascendant sur l’US Navy à « proximité » des cotes chinoises (comprendre un rayon de 3000 km), les autorités chinoises dévoilèrent ouvertement leurs ambitions : être en mesure d’égaler, et de dépasser, la puissance militaire américaine d’ici 2050.

A l’instar de la Russie de Vladimir Poutine qui désigne l’OTAN comme principal adversaire, la Chine de Xi Jinping désigne dés lors les Etats-Unis comme le rival à détrôner, sans pour autant avoir une doctrine aussi directive que la doctrine russe. De fait, en seulement quelques années, Washington est passé du Pivot vers le Pacifique du Président Obama, à une guerre commerciale ouverte avec Pékin entamée par le président Trump peu après son élection, face à une Chine désormais parfaitement armée économiquement et militairement pour y répondre. Et le Pentagone, qui en 2014 considérait encore la problématique Moyen-Orientale et anti-insurrectionnelle comme majeure, et l’émergence russe comme l’agitation d’une puissance régionale, de se retrouver en quelques années face à deux adversaires potentiels disposant d’importants moyens de combat de haute-intensité, de projection et de dissuasion, qui plus est agissant de concert, et ayant d’ores et déjà fait des percées technologiques importantes leur procurant des avantages tactiques et stratégiques notables.

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Putin Xi Jinping Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | Coopération internationale technologique Défense
La bonne entente sino-russe est-elle réelle ou de façade ? le fait est qu’elle fait craindre au Pentagone la possibilité d’un double-front en Europe et dans le Pacifique.

On peut donc admettre, aujourd’hui, que la Chine a effectivement surpris, si pas le Pentagone qui suivait avec attention les évolutions chinoises comme russes depuis de nombreuses années, en tout cas l’élite politique américaine et européenne, tel un loup déguisé en mouton. Et ces deux pays, dont la trajectoire internationale est relativement similaire, sont parvenus à reconstituer des outils militaires et industriels majeurs sans la moindre réaction occidentale pendant plus d’une décennie.

Toutefois, la transformation de ces deux puissances miltaires en réelle super-puissance n’est pas achevée. Ainsi, la Chine ne dispose pas encore de moyens sous-marins, d’une flotte de haute mer et d’une force aérienne moderne suffisants pour défier ouvertement les Etats-Unis, et la Russie manque encore de moyens aériens et de blindés modernes pour prendre l’avantage sur l’OTAN. En outre, ces deux pays doivent parfaire leur réseau d’influence mondial vis-à-vis des pays tiers non ouvertement alignés. Mais le plan de charge et d’investissement en cours, tant en Russie qu’en Chine, ainsi que les efforts importants déployés par Moscou et Pékin pour séduire ou contraindre économiquement des pays à les soutenir, tendent à rapprocher l’échéance ultime, au delà de laquelle l’avantage aura bel et bien changé de camp.

Ceci explique la fébrilité américaine aujourd’hui, qui entend bien mettre en oeuvre les moyens technologiques, militaires et économiques pour combler l’écart et reprendre l’ascendant sur le couple sino-russe. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant des européens, qui restent encore enfermés dans une vision probablement idéalisée du monde, refusant de voir que chaque jour qui passe sans prise de conscience, diminue les chances de rééquilibrer la balance des pouvoirs, et donc de garantir la paix.

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