Pourquoi V. Poutine propose-t-il la reconduction immédiate du traité New Start ?

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A l’occasion d’une rencontre consacrée à La Défense, le Président Poutine a indiqué qu’il était prêt à signer la prorogation intégrale et sans négociation du traité sur les armes nucléaires New Start, qui doit arriver à échéance en 2021. Signé en 2010 et ratifié en 2011, le traité New Start impose à la Russie et aux Etats-Unis de ne pas disposer de plus de 800 vecteurs stratégiques (missiles à capacité nucléaire) dont 700 peuvent être déployés, et 1550 têtes nucléaires déployées par chacun des deux pays. Héritier des traités Salt (1972), Start (1993), INF (1987) et Open Sky (1992), il fut mis en oeuvre pour limiter la course aux armements nucléaires, et garantir une capacité de vérification bilatérale entre les deux grandes puissances nucléaires.

L’inéluctable déclassement russe est engagé

On peut s’étonner de voir la Russie de Vladimir Poutine aussi déterminée à maintenir les traités signés par le passé, alors que le pays est en partie responsable de la dégradation de la situation internationale et des relations entre la Russie et l’occident, après l’annexion de la Crimée et l’intervention dans le Donbass, en 2014, et surtout du fait de la reconstruction très rapide de l’outil militaire du pays. A l’inverse, les Etats-Unis, très prompts à se parer de nombreuses vertus parfois puritaines, semblent aujourd’hui déterminés à mettre fin à ces traités, comme ce fut le cas en 2018 avec le traité INF, et comme c’est le cas aujourd’hui avec le traité Open Sky.

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Parmi les traités menacés aujourd’hui, le traité Open Sky a subit les foudres du président Trump, le jugeant inefficace, cher, et au seul bénéfice de la Russie

En réalité, le président russe est parfaitement conscient de l’inévitable déclassement auquel la Russie s’expose dans les années à venir, et de la montée en force d’un modèle bi-polaire autour des Etats-Unis et de la Chine. En effet, la patrie de Tolstoy souffrent de deux handicaps déterminants : sa démographie, et son économie. Ainsi, dans les 30 années à venir, la population russe est, selon de nombreuses projections, condamnée à perdre jusqu’à 10 millions de ses habitants, du fait du vieillissement de la population, de la faible natalité, et de l’immigration d’une partie des élites. En outre, les projections économiques, que l’on sait toutefois peu fiables, convergent vers une croissance faible en Russie dans les années à venir, avec une croissance moyenne comprise entre 0,5 et 1%, alors même que l’inflation se stabilisera autours de 4%, et que la dette publique augmentera en moyenne entre 1,5 et 2% du PIB par an. Dans le même temps, la Chine va maintenir une croissance démographique controlée mais positive, et une croissance économique entre 3 et 5%, là ou les Etats-Unis vont continuer à voir leur population augmenter, notamment grâce à l’immigration d’Amérique centrale, et sa croissance évoluer autour des 2%.

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Une puissance en trompe l’oeil

Or, si la Russie a pu reconstruire un outil de défense de premier ordre ces 15 dernières années, c’est avant tout en profitant de l’extraordinaire reliquat de l’époque soviétique, et de la période de stagnation en matière de technologies militaires qu’a connu le monde entre 1995 et 2015. De fait, au prix de modernisations bien plus économiques que de concevoir et construire de nouveaux materiels modernes, les armées russes ont pu reconstituer un potentiel militaire important et performant. En outre, grâce à des programmes de défense particulièrement bien menés, et du dynamisme des exportations d’équipements de Défense, le pays a su garantir la pérennité de son industrie, de ses savoir-faire, et de ses armées, pour la nouvelle génération d’équipements qui arrivent aujourd’hui, comme pour l’avion de 5ème génération Su-57, le drone S70 Okhtonik B, le chars T-14 Armata, les sous-marins Yassen et Borei. Dans le même temps, les ingénieurs russes ont répondus aux attentes des stratèges du ministère de La Défense pour concevoir quelques équipements dotés de capacités de ruptures offrant un avantage tactique et stratégique indéniable au pays, comme le missile hypersonique Kinzhal, le missile anti-navire Tzirkon, le système anti-aérien S500, ou le planeur hypersonique Avangard.

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Le Missile hypersonique Kinzhal représente cette nouvelle génération de systèmes d’arme à très forte valeur tactique et stratégique sur lequel Moscou fait reposer sa future influence dans la diplomatie mondiale

Malheureusement, ce contexte exceptionnel qui permit à Moscou de revenir au premier plan de la scène internationale, au même titre que Washington ou Pékin, ne pourra être reproduit dans les années à venir, et Vladimir Poutine le sait très bien. C’est en grande partie ce qui explique la situation actuelle, et l’inversion de paradigmes apparente auquel nous assistons. En soutenant les traités existants, le président russe entend prolonger, plus ou moins artificiellement, le rôle de Moscou sur la scène internationale, alors que Washington constate que ces traités entravent ses moyens d’action pour faire face à la montée en puissance chinoise, considérée désormais, et à juste titre, comme le principal et unique compétiteur réel de la puissance américaine sur la scène internationale. De la même manière, en se rapprochant de Pékin et de son président Xi Jinping, Vladimir Poutine espère profiter d’un regain de perception de puissance à l’échelle mondiale, dans une démarche qui n’est pas sans rappeler celle des européens vis-à-vis des Etats-Unis.

L’Europe, et la France, comme alternative

Alors, la Russie doit-elle choisir entre le déclassement international pur et dure, ou la lente vassalisation vis-à-vis de Pékin ? Pas nécessairement, car il existe une troisième voie, qui apparait bien plus satisfaisante pour Moscou : un rapprochement avec les européens. En effet, dans les projections de l’OCDE, les grands pays européens, que ce soit l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, convergeraient vers une puissance économique sensiblement équilibrée, avec un PIB évoluant entre 5,4 et 6 mille milliard de $ en 2050, là ou la Russie atteindrait les 5,2, les Etats-Unis 35, et la Chine 48.

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Malgré des relations initialement très tendues entre les deux hommes, E.Macron a ouvert la porte à un rapprochement avec la Russie

En se rapprochant de l’Europe, et non de Pékin, Moscou bénéficierait non seulement de la puissance économique des Européens pour dynamiser son économie, et accélérer sa croissance économique, mais également d’une relation équilibrée avec les grandes nations européennes, dans un rapport d’égal à égal. A l’inverse, les Européens bénéficieraient d’un apaisement sensible et rapide des tensions sur les frontières est, et pourront dés lors concentrer leurs efforts dans la course à la puissance entamée par la Chine et les Etats-Unis, au point de pouvoir s’intercaler entre les deux pays en terme de population, de PIB, et donc d’influence à l’échelle mondiale. En outre, et ce n’est pas négligeable, une structure politique à 3 pouvoirs sensiblement équivalent est gage d’une bien plus grande stabilité qu’une bipolarisation du monde.

Conclusion

Ce constat est probablement à l’origine de l’ouverture faite par le président Macron envers la Russie il y a quelques jours, sachant que le sort de la Russie et des Européens sont liés dans un futur relativement proche : faute d’une coopération rapide et ambitieuse, chacun devra se blottir contre le flanc de sa super-puissance de tutelle. De fait, plutôt que de tenter de sauver le traité New Start ou Open Sky avec Washington, qui de toute façon ne représenterait qu’un gain de temps limité pour une trajectoire inchangée, Moscou, comme Paris, seraient avisés de rapidement trouver des points de convergence, et des Quick Win, notamment sur l’Ukraine et sur les sanctions économiques qui handicapent la reprise russe, de sorte à pouvoir entamer une dynamique salvatrice pour les deux pays, ainsi que pour l’Europe.

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