Force maritime d’auto-défense japonaise : esquisse d’une refonte des Izumo en porte-avions CATOBAR ?

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Une photographie diffusée sur Twitter d’une présentation estampillée General Atomics Electromagnetic (Systems) représente la silhouette du destroyer porte-hélicoptères JS Izumo (2015) converti en porte-avions CATOBAR (Catapult Assisted Take-Off Barrier Arrested Recovery). La diffusion d’un tel cliché participerait à la communication stratégique de la Force Maritime d’Auto-défense Japonaise (Kaijō Jieitai) afin de conforter l’actuel programme de refonte (2019 – 2024) de la classe Izumo mais également de préparer la prochaine échéance aéronavale du pays du Soleil levant : un programme de porte-avions CATOBAR.

Le cadre d’ensemble de la diffusion de ce cliché est donc la manière par laquelle le Japon communique sur son cycle de puissance aéronavale vis-à-vis de sa population et de ses voisins ayant souffert de son précédent outil aéronaval, République de Corée (Séoul) et République Populaire de Chine (Pékin). L’enjeu est d’accompagner une normalisation politique, culturelle et militaire dans la reconstitution d’un outil aéronaval dans toutes ses dimensions (aviation navale basée à terre, aviation navale embarquée à voilures tournantes et aviation navale embarquée à voilures fixes).

Les bâtiments de la classe Shirane (JS Shirane (1980 – 2015) et JS Kurama (1981 – 2017) et de la classe Haruna ( JS Haruna (1973 – 2009) et JS Hiei (1974 – 2011) étaient les premiers « destroyers porte-hélicoptères » (trois voilures tournantes par bâtiment), autrement dit les premiers bâtiments de la Kaijō Jieitai à accueillir des aéronefs. Ils matérialisaient dans le cadre d’un exercice opérationnel limité, fort légitime du point de vue des évolutions de la guerre sous-marine depuis 1958 obligeant à intégrer une voilure tournante, le retour des opérations aériennes japonaises menées depuis la mer.

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La classe Ōsumi (JS Ōsumi (1998), JS Shimokita (2002) et JS Kunisaki (2003) dont les bâtiments déplacement au maximum 14 000 tonnes à pleine charge poursuivait alors une méthodique reconstitution des capacités aéronavales japonaises en proposant pour la première fois la silhouette caractéristique d’un porte-aéronefs, à savoir un îlot recevant la passerelle de navigation déporté sur tribord et un pont d’envol dégagé du moindre obstacle de la proue à la poupe (« flush deck aircraft carriers »). Les Ōsumi furent spécifiquement désignés comme « bâtiments de débarquement de chars », devant servir défensivement à regarnir par la mer les parties de l’archipel inquiétées par des opérations amphibies adverses. Cela permettait aussi de ne pas inquiéter les voisins japonais de la résurgence d’une doctrine amphibie plus expéditionnaire.

JS Izumo Analyses Défense | Awacs et guerre électronique | Guerre de Haute Intensité
Le JS Izumo (2015) à la mer, date inconnue. Ce bâtiment de 27 000 tonnes à pleine charge pour une longueur de coque de 248 mètres est comparable de par ses dimensions et le coût de son programme (1136 millions d’euros (2012) aux porte-aéronefs Cavour (2009) et Trieste (2022 ?) de la Marina militare (Italie).

La classe Hyūga (JS Hyūga (2009) et JS Ise (20011) portaient le tonnage d’un pont plat japonais post-Deuxième Guerre mondiale à 19 000 tonnes. Ces « destroyers porte-hélicoptères » ont pour mission principale la lutte anti-sous-marine et comme mission secondaire de pouvoir compléter les capacités des Ōsumi pour porter une assistance humanitaire à un État la requérant. Mais l’apparition des Hyūga posait la question d’un éventuel projet de les doter en aéronefs à voilure fixe. Quatre Hyūga étaient prévus dans la programmation avant que celle-ci transforme les n°3 et 4 en bâtiments plus imposants quant aux dimensions (51 mètres supplémentaires) et au déplacement (8000 tonnes plus lourd).

La classe Izumo (JS Izumo (2015) et JS Kaga (2017) dont les bâtiments atteignent un maximum de 27 000 tonnes paraissent être conçus dans l’optique du retour des aéronefs à voilure fixe. Le spot hélicoptère absent à l’avant du pont d’envol sera très certainement partiellement occupé par un tremplin après les refontes prévues pour permettre aux deux bâtiments d’opérer le F-35B. Le calendrier du programme consiste à débuter les premiers travaux sur le JS Izumo dès la fin (mars 2020) de l’année fiscale 2019. Le chantier durerait jusqu’au cours de l’année fiscale 2021, ce qui revient à dire qu’il s’achèvera au plus tard en mars 2022. Le JS Kaga (2017) débuterait alors la même refonte en 2022 presque immédiatement à la suite.

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Il est remarquable que le Japon, lors de l’admission au service actif des Izumo, était critiqué par la Chine au sujet de velléités prêtées à Tōkyō d’employer ces bâtiments pour le conflit liant les deux États pour l’archipel des Senkaku/Diaoyu. Le manga japonais « seinen » (pour jeunes hommes) Kûbo Ibuki (2014) – ou Porte-aéronefs Ibuki – édité par Shôgakukan, fort de douze tomes, débute son histoire par un groupe de navires de pêches opérant illégalement près d’îles au centre d’un conflit territorial et ayant fait usage d’armes à feu sur les autres navires civils. Le gouvernement japonais envoie alors l’Ibuki. La fiction japonaise rejoint les craintes chinoises.

Reclame General Atomics Electromagnetic Systems 2 Analyses Défense | Awacs et guerre électronique | Guerre de Haute Intensité
Cette publicité publiée au plus tard en 2016 par General Atomics Electromagnetic Systems permettait de connaître la liste des clients de l’entreprise pour des études d’intégrations, voire la fourniture pure et simple avec intégration, de catapultes électromagnétiques. Le JS Izumo est représenté tout à gauche avec une catapulte de 90 mètres.

Avant d’évoquer le cliché pré-cité, il convient de rappeler l’existence d’une réclame de la même société américaine présentant les trois programmes sur lesquels elle a eu à travailler au sujet de l’intégration de catapultes électromagnétiques (Electromagnetic Aircraft Launch System (EMALS) :

  • le JS Izumo ;
  • l’une des dernières configurations du programme de Nouveau Porte-Avions (NPA) fondé sur le DEAC (DCNS Evolved Aircraft Carrier) ;
  • le CVN-78 USS Gerald R. Ford.

Les proportions entre les trois silhouettes paraissent cohérentes. Deux remarques s’imposent : chacune des silhouettes intègre un certain nombre de catapultes électromagnétiques de 90 mètres. Deuxièmement, le leitmotiv de l’étude pour le JS Izumo était de pouvoir opérer des drones à voilure fixe d’une masse maximale au catapultage de 1,15 tonnes.

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Cette première réclame peut être assimilé à un premier message de la communication stratégique de Tōkyō quant à la poursuite de son cycle de puissance aéronavale. Il n’y a nul besoin d’une catapulte longue de 90 mètres pour lancer 1,15 tonnes car une telle installation lance jusqu’à 47 tonnes. Le message est bien que le Japon remonte en puissance en matière d’aviation navale embarquée à voilure fixe avec ses premiers travaux sur des bâtiments dotés de catapultes.

Le cliché de la présentation estampillée General Atomics Electromagnetic Systems ne peut que s’appuyer sur l’élément précédent qui lui confère un semblant de crédibilité. Mais il n’est pas inutile de constater que les circonstances (date, lieu, etc) de là-dite présentation ne sont pas connues. Il s’agirait, en tous les cas, d’une réflexion plus avancée que la précédente qui s’était probablement contenté d’étudier les enjeux de l’intégration d’une catapulte à l’architecture structurelle du bord. Ce qui pourrait être l’indice qu’une étude supplémentaire est menée vis-à-vis des travaux à mener pour assurer une conversion complète. La configuration proposée est des plus intéressantes en raison de son coût manifeste et des limites opérationnelles.

En ne se fiant qu’à cette seule l’image, il s’agirait d’en déduire que l’îlot du JS Izumo est déporté sur tribord. L’ascenseur central devant le même îlot est supprimé et remplacé par un ascenseur latéral supplémentaire. Deux catapultes électromagnétiques axiales de 90 mètres sont intégrées au pont d’envol. Une piste oblique de plus ou moins 190 mètres est créée avec un encorbellement massif sur bâbord avant.

Hangar du JS Izumo Analyses Défense | Awacs et guerre électronique | Guerre de Haute Intensité
Les dimensions exactes du hangar des Izumo demeurent inconnues. La superficie est de 4087,06 m². La longueur serait voisine des 110 mètres. Les différents clichés permettent d’apprécier la largeur du hangar qui permet d’entreposer trois SH-60K Seahawk de front ou bien deux V-22 Osprey. Le nombre de F-35B pouvant être entreposé n’est pas connu.

Aussi, la capacité d’accueil en aéronefs du JS Izumo dans pareille configuration ne pourrait se limiter qu’aux dimensions intrinsèques du seul hangar. La superficie du hangar du JS Izumo est de 4 087,06 m² (Joseph Henrotin, « Classe Izumo : le grand saut japonais vers le porte-aéronefs ? », Défense & Sécurité Internationale, no 97, novembre 2013). Il se compose de trois zones séparées par des porte coupe-feu. Cette superficie est similaire (4600 m²) à celle du hangar (138 x 29 mètres (ou 4000 m² avec les ateliers) du porte-avions Charles de Gaulle (2001). Cela laisse augurer un hangar capable d’entreposer un grand maximum de :

  • 18 F-35C,
  • 2 E-2D Advanced Hawkeye ,
  • 4 hélicoptères,
  • soit un total de 24 aéronefs.

Le coût de la conversion couvre d’importantes modifications architecturales qui supposent un alourdissement de plusieurs centaines de tonnes du bâtiment. Chaque EMALS possède une masse de 200 tonnes. L’appareil propulsif du JS Izumo (27 000 tonnes à pleine charge) a une puissance installée de 84 MW contre un total de 82,4 MW pour le porte-avions Charles de Gaulle de 43 000 tonnes. Ce sont les deux grands pré-requis à une éventuelle conversion CATOBAR des Izumo : que le pont d’envol ait été doublé par un pont galerie, ce qui faciliterait peut être de manière décisive l’intégration de deux catapultes ; que la propulsion soit dimensionnée pour faire marcher le bâtiment à une vitesse maximale voisine de l’actuelle mais avec un alourdissement du bâtiment.

Par ailleurs, la configuration proposée se distingue par ses limites opérationnelles manifestes. C’est presque un porte-avions CATOBAR « tout ou rien » en raison de l’absence d’espaces de parking sur le pont d’envol : quand une pontée se présente aux catapultes, elle occupe nécessairement la piste oblique et quand les avions sont ramassés, les deux catapultes sont condamnées. En outre, la catapulte bâbord « mord » sur la piste oblique. Le F-35C paré à être catapulté va irrémédiablement percuter le nez du premier appareil stationné.

Cette configuration est donc limitée par la vitesse intrinsèque des ascenseurs qui ne peuvent lever que 19 tonnes chacun, soit un seul F-35B/C. Cette masse ne permet pas non plus que ledit appareil soit préparé dès le hangar, imposant de mener ces opérations d’armement sur le pont d’envol. Pourtant, aucun ascenseur à munitions n’est visible.

Dans le détail, l’ascenseur tribord avant risque d’être trop proche de la proue et donc que ses rotations soient trop perturbées par les embruns et les paquets de mer.

Une configuration française du pont d’envol en déportant la catapulte axiale tribord à bâbord, parallèlement à l’axe du bâtiment, permettrait de dégager un espace de parking devant l’îlot et donc de pouvoir lancer et ramasser alternativement plusieurs pontées. La limite imposée par les ascenseurs est levée.

Les capacités opérationnelles d’un JS Izumo refondu dans cette configuration permettent d’envisager le lancement :

  • d’une pontée d’attaque de 6 F-35C accompagnées chacune d’un E-2D Advanced Hawkeye ;
  • d’une pontée de patrouille aérienne organisée en 4 groupes de 3 F-35C ;
  • un plot de deux à trois hélicoptères en mission Pedro.

Chaque ascenseur accomplirait une rotation en une soixantaine de secondes, soit une manœuvre pour monter ou descendre de deux F-35C. La préparation d’une pontée depuis sa sortie du hangar jusqu’au catapultage du dernier aéronef nécessiterait environ une heure et peut être autant de temps pour ramasser les aéronefs et les remiser au hangar afin de les reconditionner. Il serait alors possible de lancer les pontées par paire avec un léger chevauchement.

Les opérations aériennes menées depuis le JS Izumo imposent d’entretenir une posture en matière de patrouille aérienne afin d’être en mesurer de parer à toute intrusion aérienne dans la sphère contrôlée par le groupe aéronaval. Posture qui tend à la permanence aérienne pendant les opérations, ce qui réduit la pontée d’attaque à seulement 6 F-35C porteurs d’une paire de missiles anti-navires pouvant ponctuellement être renforcé par une à deux patrouilles aériennes dans l’optique d’assurer cette mission.

En tablant sur une capacité à lancer deux pontées d’attaque et que chaque patrouille de trois F-35C puisse accomplir deux sorties, le nombre de sorties aériennes journalières serait alors de l’ordre des 40 à 50 au maximum pour un engagement intensif de quelques jours avant que la dureté des opérations n’oblige à reconditionner hommes et matériels pendant une pause opérationnelle. Ce qui pose la question du nombre de sorties soutenables dans la durée quand survient une crise et comment préserver un potentiel opérationnel permettant de répliquer, plusieurs fois.

Ibuki Analyses Défense | Awacs et guerre électronique | Guerre de Haute Intensité
La silhouette des Izumo après refonte demeure inconnue. Le manga japonais Kûbo Ibuki (2014) se déroule autour du porte-aéronefs Ibuki, un bâtiment fictif reprenant toutes les caractéristiques des Izumo, hormis les installations aéronautiques permettant d’accueillir des F-35B dont un tremplin à l’avant du bâtiment. Le fabriquant japonais de maquettes Tamiya en propose la maquette au 1/700.

Tout ceci mènerait à, au moins, une conclusion : cet exercice de style aurait servi à montrer les enjeux architecturaux, opérationnels et donc financiers d’une conversion des Izumo en porte-avions CATOBAR. L’ordre de grandeur serait très certainement de plusieurs centaines de millions d’euros. Le coût financier final dépassera logiquement celui des refontes des mêmes bâtiments pour les adapter aux opérations aériennes des F-35B. Une telle conversion implique aussi de repousser l’échéance pour disposer de la capacité car l’actuelle refonte permettra que les bâtiments soient de retour dans le cycle opérationnel, au plus tard, en 2022 et 2024 quand Tōkyō percevra ses F-35B (2024 à 2026). Une refonte CATOBAR repousserait logiquement l’échéance du fait du temps nécessaire à la modification de la commande des F-35B en F-35C et aux travaux supplémentaires à mener à bord avec les risques inhérents à un tel chantier.

Enfin, avant de conclure, il est peut être utile d’écarter une comparaison malheureuse entre les caractéristiques générales des Izumo vis-à-vis des porte-avions de la classe Essex dont plusieurs unités de la variante SCB-27C à laquelle s’ajoute les trois Midway furent refondus CATOBAR. Le chantier comprenait la construction d’une piste oblique afin de mettre en œuvre des jets. Les Essex refondus étaient des long-hull de 270 mètres au niveau du pont d’envol et non pas de 250 mètres comme pour les premières unités. Par ailleurs, les catapultes C-11 et C-11-1 installées uniquement par paire dans l’axe du pont d’envol mesuraient 69 mètres et non pas 90. Elles ne mordaient pas sur la piste oblique et un espace de parking existait entre la piste oblique et les catapultes. La comparaison est donc trompeuse : catapultes plus courtes, coques plus longues.

Ces deux études consécutives menées par General Atomics Electromagnetic Systems semblent plutôt pointer une phase d’apprentissage du tissu industriel japonais des enjeux de l’architecture CATOBAR avec des catapultes électromagnétiques. Une vertu pédagogique supplémentaire serait d’écarter la piste d’une conversion des Izumo à cette filière aéronavale en raison des coûts et des risques beaucoup trop importants par rapport à l’acquisition de bâtiments de facture neuve, spécialement étudiés et conçus pour être des porte-avions CATOBAR. Là réside probablement la finalité de la communication stratégique japonaise : les évolutions du contexte de sécurité régionale obligeront Tōkyō à atteindre l’ultime marche de son cycle de puissance aéronavale, à franchir le dernier tabou depuis 1945, c’est-à-dire la commande de « porte-avions » au sens entier du terme pour la décennie 2030. Et donc d’envisager des bâtiments qui approcheront du plus grand seuil symbolique de la puissance navale japonaise : le déplacement à pleine charge du cuirassé Yamato (72 800 tonnes).

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