vendredi, mars 29, 2024

Le drone X37b : gadget de luxe ou futur couteau-suisse indispensable à la conduite des opérations en environnement non-permissif ?

Le drone X37b : gadget de luxe ou futur couteau-suisse indispensable à la conduite des opérations en environnement non-permissif ?

Les deux dernières semaines ont apporté leur lot de nouveautés avec le X37B, le drone spatial américain. Présenté tour à tour comme une navette « automatique » ou un « pseudo-satellite », ces termes reflètent un certain flou doctrinal autour de cette plateforme qui pourrait devenir une brique opérationnelle intermédiaire entre les « grands drones » et les satellites. 

On se souvient du débat mené il y a quelques années concernant les avantages comparés entre les drones stratégies (HALE et MALE[efn_note]Moyenne/Haute Altitude Longue Endurance [/efn_note]) et les satellites, notamment dans les missions ISR. Si le débat fut essentiellement rhétorique il mît en avant la complémentarité de ces derniers. Les satellites permettaient un affranchissement des contraintes légales de survol, une sécurité presque totale face aux défenses anti-aériennes malgré une certaine fugacité en termes de revisites sur les théâtres. De leur côtés les drones apportaient une résolution optique et des capacités de guerre électroniques accrues – du fait de leur proximité plus importante avec le sol- et une permanence plus importante du fait de l’endurance[efn_note]Plus de 24H pour des drones MALE de type MQ9 Reaper et 36 heures pour les drones HALE de type MQ4 Global Hawk. [/efn_note] de leurs orbites[efn_note]Orbites Permanentes de Surveillance Armée Multicapteurs (OPASM) : permet d’avoir la permanence sur une zone ou un théâtre via des « constellations » de drones se relayant tour à tour. [/efn_note]. Par ailleurs les drones étaient en capacité d’emporter plus de capteurs et de s’affranchir des contraintes météorologiques pouvant se révéler incapacitante pour un satellite de ROIM (ex : couverture nuageuse au-dessus d’un théâtre d’opération).

MQ 4C Triton USN Analyses Défense | ASAT | Construction aéronautique militaire
L’Iran serait parvenue à abattre deus drones MALE MQ4 de l’US Navy, des appareils dépassant les 100 m$ l’unité

Ce système de systèmes, relativement bien verrouillé et fluide dans le cadre d’un confit asymétrique ou conventionnel de basse intensité (théâtre semi-permissif) pourrait pourtant bien devenir insuffisant. En effet, les armées « occidentales » ont basées leur supériorité depuis 30 ans autant sur l’info-valorisation que sur les « réseaux-centrés » dont les architectures reposent largement sur les 3èmes et 4èmes dimensions. Le « binôme » des satellites et des drones stratégiques forment la clé de voute mais aussi l’ossature de nos systèmes C4ISTAR[efn_note]Commandement, Contrôle, Communication, Computer, Intelligence, Surveillance, Targeting, Asses, Reconnaissance [/efn_note]. Or l’émergence rapide, en nombre et en qualité, de nouveaux acteurs technologiques, potentiellement belliqueux, remet en question cette domination militaire. En 20 ans, Russie et Chine, et par voie de conséquence leurs partenaires, ont pensés leurs outils militaires en se focalisant sur la contestation de ces principaux atouts occidentaux, ces derniers constituants également leur principale faiblesse.

Un milieu aérospatial contesté et potentiellement interdit ?

Les nouvelles menaces auxquelles sont confrontées les armées occidentales peuvent être grossièrement regroupées sous la terminologie A2AD (Anti-Access/Aerial Denial), touchant directement la résilience en vol des drones stratégiques et des satellites en orbite. Les armées russes et chinoises ne disposant pas (encore) de capacités de projections de force et de puissance à la hauteur des moyens occidentaux, sont en revanche en mesure de dénier l’accès à une force expéditionnaire sur un théâtre d’opération. Il se voient alors conférer une liberté politique croissante du fait de la neutralisation des moyens classiques de coercitions.

Ce déni d’accés passe notamment par un renforcement de capacités anti-aériennes multicouches[efn_note]Un ensemble de systèmes de détection et d’interception combinant guerre-électronique et capacités cinétiques. Ces systèmes s’entrecroisent au sein d’une bulle combinant, a gros traits, systèmes longue, moyenne et courte et très courte portée [/efn_note]. Parmi ces défenses, on trouve le système S-400 pouvant intercepter un vecteur 400 Km et jusqu’à une altitude de plus de 50 kilomètres ou, à l’horizon 2030, les S-500 (500-600Km, altitude 180km et plus). Or les vecteurs de type MQ-9 Reaper et MQ-4 Global Hawk culminent respectivement à 16 000 et 18 000 m et ne sont pas furtifs.

Le Systeme S500 lors de ses tests dans lhiver russe Analyses Défense | ASAT | Construction aéronautique militaire
Le Systeme S500 russe dispose de capacités ASAT en orbite basse, et représente une menace très sérieuse pour les drones HALE et MALE

Ce type de système, combiné à des capacités de brouillages offensifs très avancés, notamment en sein de l’armée russe, tend par ailleurs à proliférer vers des acteurs de plus en plus nombreux et présentant, à des degrés divers, des menaces pour les pays occidentaux : Chine, Iran, Turquie, Pakistan, etc.… Ces craintes sont d’ailleurs confirmées par l’actualité, l’Iran ayant revendiqué la destruction de deux MQ4 en Juin et dernièrement le 08 Novembre 2019. Précisons que le MQ-4 n’est pas un engin « consommable » mais une plate-forme de haute valeur que seule la BITD américaine est en mesure de produire. Il ne s’agit certes pas de se borner à une simple superposition de portées et d’altitudes qui ne prendrait pas en compte la complexité d’un théâtre d’opération, mais bien de faire valoir la vulnérabilité croissante des vecteurs aériens exposés aujourd’hui à une forte contestation dans la 3ème dimension. Une contestation à laquelle les occidentaux avaient été incomplètement confrontés, et préparés, depuis 30 ans.

Concernant la composante spatiale la menace est différente et plus inédite. En effet, si les occidentaux n’ont pas été confrontés depuis quelques décennies à la nécessité de conquérir la supériorité aérienne, ils n’avaient jamais été confrontés à une contestation dans la 4ème dimension. Cette contestation de nature éminemment stratégique est historique au plein sens du terme car elle très largement le fait d’une puissance non-occidentale, la Chine, fait inédit depuis 5 siècles.  La rapidité et la vigueur intellectuelle de son réarmement impressionne, en témoigne aujourd’hui l’organisation de la nouvelle Force de Soutien Stratégique (FSS).

mig31 asat Analyses Défense | ASAT | Construction aéronautique militaire
Les forces russes ont repris l’expérimentation de leurs systèmes ASAT depuis quelques années

C’est « l’armée de l’espace » chinoise qui regroupe l’ensemble des capacités de communications, de renseignement (ROIM et ROEM), de géo-positionnement, de poursuite/télémétrie. Elle dispose aussi des capacités militaires de lancement spatial et de neutralisation/destruction (cinétique, cyber et électromagnétique) dans la 4éme dimension. C’est le fruit de l’étude approfondie de 30 ans de RetEx[efn_note]RETour d’EXpérience [/efn_note] occidentaux et notamment américains. Elle est pensée à la fois pour combattre nos propres systèmes tout en élaborant une architecture propre aux besoins et à la pensée militaire chinoise.

Cette force spatiale a la particularité de mettre en œuvre des capacités ASAT (antisatellites) très imposantes. Certes cette menace n’est pas nouvelle mais elle s’est considérablement étoffée en 10 ans[efn_note]2007 : première destruction d’un satellite depuis la 3eme dimension vers l’orbite basse par la Chine. [/efn_note]. Le caractère inédit de la menace actuelle est différent de la prolifération des systèmes de défense anti-aérienne. En effet l’interception en milieu spatial, problématique abordé par la DAMB depuis la guerre froide, est un procédé complexe. Or Pékin semble avoir déployé un ensemble de systèmes très performants en à peine une décennie.

Presentation publique de 10 missiles DF21D Analyses Défense | ASAT | Construction aéronautique militaire
Le missile DF21D est surtout réputé pour sa capacité supposée à atteindre les porte-avions de l’US Navy. Il disposerait également de capacités anti-satellites

La Chine est aujourd’hui capable de frapper les 130 satellites militaires américains mais aussi les satellites civils de télécommunications, dont dépendent les 4/5ème de la bande-passante utilisée par l’armée américaine. Ainsi la Chine dispose de missiles DN-3 capables de frapper des satellites en orbite géostationnaire. Les Chinois mettent également en œuvre le missile balistique SC-19, hybride du missile balistique naval DF-21 et du S-400 Russe (pour la charge utile). Doté de capteurs IR et radars et d’une allonge de 1700 à 2500 Km, le SC-19 est sensé intercepter les vecteurs en orbites basse (de 400 à 1000 Km d’altitude) correspondant alors aux satellites de renseignement optiques/radars et électromagnétiques. On estime à une quarantaine de vecteurs la taille de cet arsenal sans compter les DF-21 D, dotés eux aussi de capacités ASAT.

Par ailleurs la Chine dispose de systèmes satellitaires co-orbitaux. Destinés officiellement à la maintenance, leur usage peut parfaitement être détourné vers des opérations de neutralisation (sabotage, désorbitage, collision…). Toujours dans le cadre de la lutte ASAT, la Chine développe des armes à énergie dirigée utilisant des technologies laser (sol-espace et espace/espace) ou bien le canon électromagnétique HPM. La palette d’effecteur est bien complète et n’a pas terminée sa montée en puissance. Adossée à des moyens de détection, de guerre électronique et cyber elle est ouvertement destinée à obtenir des effets de destruction massif sur les systèmes informationnels occidentaux, causant une attrition probablement aigue sur les personnels, plateformes et vecteurs engagés sur un théâtre d’opération voire les empêchant tout simplement de se déployer.

Le X37-B : réponse américaine au déni d’accès aérospatial ?

C’est dans ce contexte que rentre en scène le X37B. Il ne s’agit pas d’une recette miracle, les EU restant par ailleurs très discrets sur sa doctrine d’emploi futur. Toutefois la combinaison unique d’un système de drone, de navette et de satellite lui confère une souplesse d’emploi apte à réduire les frictions impliquées par les systèmes d’armes vus plus haut. Le système C4ISTAR des forces sur théâtre s’en trouverai alors plus protégé. Les capacités les plus prévisibles du X37B concernent les missions qu’il pourrait accomplir en orbite (ravitaillement ; déploiement de robots de maintenance ou de sabotage ; déploiement de minisatellites ; déploiement d’armements cinétiques ou à énergie dirigée…).  

x37B 01 Analyses Défense | ASAT | Construction aéronautique militaire
Le X37B au retour de son vol experimental de 780 dans l’espace

Pourtant, le X37B laisse penser qu’il devrait être également en mesure d’évoluer dans des orbites peu utilisées, comprises entre 80 et 400Km. Doté d’une endurance importante, 780 jours à son dernier atterrissage le 28 Octobre 2019, il est également manœuvrant, lui permettant de changer d’orbite. Ce faisant ses trajectoires sont alors non-prédictibles[efn_note]Même s’il est loin d’être indétectable [/efn_note], un avantage certain contre des menaces ASAT tout en se trouvant à trop haute altitude pour être inquiété par des défenses anti-aériennes classiques. Si les satellites sont pour des raisons physiques et technologiques difficiles à atteindre, une fois les solutions de télémétrie, de surveillance, de poursuite et de balistique maitrisés, ils se transforment en cible extrêmement vulnérable, leurs orbites étant prédictibles et connues car positionnées sur des trajectoires classiques, généralement héliosynchrones polaires[efn_note]Pour les satellites en orbite basse [/efn_note].

 Sur un théâtre d’opération non-permissif, en amont comme en support des opérations, ce type de vecteur, équipé des capteurs adéquats, serait alors en mesure d’accompagner voire de suppléer en sécurité les drones de type HALE dans leurs missions de renseignement. On peut soupçonner également des capacités de frappes si le X37B était doté d’effecteurs cinétiques[efn_note]La réflexion se veut ici uniquement doctrinale et ne prend pas en compte les problèmes juridiques engendrés ayant attrait à l’arsenalisation balistique de l’espace dans l’axe Espace-Sol. [/efn_note]. Ils seraient par ailleurs en capacité de pouvoir se transformer en plateforme de liaisons de données avec les F-35 et les F -22. Combiné aux capacités de fusion de données du F-35, le X35B pourrait participer à la fluidification et l’accélération du tempo opérationnel. Ceci constituerait une avancée intéressante en combat collaboratif.

Du côté satellitaire leur manœuvrabilité devrait également être en mesure de restreindre la fugacité d’un satellite au-dessus d’une cible à haute valeur et lui aussi affranchis des contraintes légales de survol, le tout avec une vulnérabilité amoindrie aux menaces ASAT et profitant de surcroit d’une résolution supérieure. Par la même occasion, les trajectoires et les heures de revisites de nombreux satellites étant connus et partageables, l’utilisation d’un vecteur en capacité de changer d’orbite serait une contre-mesure efficace contre des opérations de camouflage ou de déception, conférant à son utilisateur un avantage certains dans le processus de ciblage ou dans la surveillance[efn_note]Les Serbes en avaient fait un usage massif avec succès en 1999 face à l’OTAN. Ils disposaient par ailleurs d’une couverture anti-aérienne efficace. [/efn_note]. Enfin, la perte probable de satellites en cas de conflit pourrait voir la perte capacitaire en partie compensée par un vecteur de type X37B, via ses propres capteurs ou bien en déployant des minisatellites de substitutions depuis ses soutes.  

Conclusion

Les Etats-Unis ont pris une avance importance dans un domaine qui, on l’a vu, ne peut guère être considérée comme un luxe eut égard à l’évolution du contexte géostratégique et opérationnel. On peut penser qu’a priori ce type de vecteur fera partis des systèmes permettant une résilience accrue des forces engagées en opérations. Il n’est d’ailleurs pas l’unique solution envisagée. Ses atouts pourraient être combiné avec d’autres technologies tels les drones solaires ou bien les dirigeables de haute altitude. La Chine développe d’ores et déjà un drone de ce type via les programmes « Teng Yun » et « Shenlong ». On peut gager qu’elle parviendra bientôt à passer à la phase de la « démonstration ».

VSH VHERA Dassault Analyses Défense | ASAT | Construction aéronautique militaire
Vue d’artiste du VSH de Dassault Aviation. Le programme n’est cependant pas activement développé aujourd’hui

La France développe également un vecteur similaire, le « Véhicule Hypersonique Réutilisable Aéroporté » (VEHRA) via l’industriel Dassault Aviation. Ce programme n’est pas encore une priorité pour l’Etat-Major et pour l’Etat, même s’il reste dans les cartons, la priorité étant à la « défense passive » de l’espace et la hausse de nos capacités de surveillance. Ces dernières capacités sont fondamentales mais il ne faudrait toutefois pas perdre de vus les risques se profilant. Outre ceux décrits plus haut, un supplémentaire serait la multiplication de vecteurs de type drones spatiaux en orbite, impliquant alors très probablement une hausse de la conflictualité directe dans l’axe espace-espace. La « défense passive » se révélerait alors rapidement insuffisante. D’où la nécessité d’anticiper.

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