mardi, mars 19, 2024

Un think tank américain propose des conclusions discutables au sujet de La Défense aérienne helvétique

Mandaté par le Parti socialiste suisse, le Think tank américain Acamar Analyse et Consulting a présenté ses conclusions quand au programme visant à moderniser les capacités aériennes et anti-aériennes du pays en cours mené par la Département fédéral de La Défense (DDPS). La vision proposée par Michael Unbehauen, ancien officier de l’US Air Force qui dirige le Think Tank, est toutefois étonnante, pour ne pas dire contestable, comme le sont les conclusions qui en découlent.

Un postulat de départ erroné

En premier lieu, le postulat de départ avancé par l’analyse n’est autre que l’absence de menace à courts ou moyens termes pour la Confédération Helvétique. Il est vrais que le pays s’est trouvé épargné des grands conflits du XXeme siècle, grâce à une position de neutralité absolue, et des relations privilégiées avec nombres d’industriels allemands. Rien cependant ne permet d’en faire un postulat, notamment lorsque l’on considère les risques d’embrasement qui mèneraient effectivement la menace à proximité du pays.

Patrouille de F18 des forces aeriennes helvetiques dans les montagnes des Alpes Actualités Défense | Analyses Défense | Aviation de chasse
Les forces aériennes helvétiques doivent remplacer conjointement leurs F18 et leurs F5

Ainsi, il pourrait être tentant, pour un adversaire de l’OTAN, d’utiliser l’espace aérien helvétique pour mener des opérations de pénétration du dispositif défensif de l’Alliance. Et si les forces aériennes suisses ne sont pas en mesure de s’y opposer, ce seront les forces de l’OTAN qui devront sécuriser ce ciel, faisant du pays .. une cible. En outre, l’économie Suisse est aujourd’hui sensiblement intriquée avec celle de ses voisins, dont 3 sont membres de l’OTAN. Le pays peut donc être pris pour cible pour neutraliser, par exemple, des voies de communication, des sources d’approvisionnement, ou plus globalement, des cibles à forte valeur pour l’un de ces mêmes voisins. Sans même parler de menace directe sur le pays, présupposer d’une absence de menace est révélateur soit d’un manque de vision globale, soit d’un manque d’objectivité.

Il est probable que le format et l’architecture retenue pour assurer l’ensemble de ses missions par les forces aériennes suisses, prend en compte ces menaces étendues, et pas uniquement une vision limitée aux menaces directes à courts et moyens termes.

Le périmètre de la mission mal défini

Dans l’approche proposée par le Think Tank américain, le périmètre considéré est limité aux missions de défense aérienne, ce qui est loin de représenter le périmètre d’une force aérienne globale. Rappelons que la Suisse n’appartient à aucune alliance de Défense, afin de garantir son statut de neutralité. Il n’est donc pas possible de concevoir une force aérienne dont les seules missions seraient limitées à La Défense aérienne, sans tenir compte des autres missions de cette force, comme l’appui des forces au sol, la suppression des défense, la reconnaissance, ainsi que des missions temps de paix, comme la police du ciel, et l’entrainement des pilotes.

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Les missions d’une force aérienne dépassent largement le cadre de la seule défense aérienne

De fait, les critiques portées par le Think Tank américain concernant le format de la force aérienne par le DDPS sont, là encore, plus que contestables. Contrairement à des pays comme les pays de l’Est de l’Europe, qui savent pouvoir immédiatement s’appuyer sur la force aérienne de ses voisins de l’OTAN pour assumer le spectre global des missions, les forces aeriennes helvétiques doivent, elles, être en mesure d’assurer l’ensemble des missions pouvant être ordonnées par les autorités militaires, et donc disposer des appareils capables d’assurer ces missions sans entraver les capacités de défense aérienne indispensable, ainsi que des pilotes entrainés pour mener ces missions. Tout cela nécessite une certaine « épaisseur stratégique », et ne peut nullement se satisfaire d’un montage associant une vingtaine de chasseurs et autant d’appareil d’entrainement.

La spécificité défensive suisse ignorée

De part la géographie du pays, les forces suisses disposent d’opportunité défensive différentes de celles de la majorité des pays européens. Comme elles le firent pendant la guerre froide, l’Etat-Major helvétique pourrait être tenté par un déploiement de ses forces sur le territoire en petites unités pouvant agir indépendamment, de sorte à limiter les risques de destruction par des frappes préventives. Ce point avait d’ailleurs été mis en avant dans l’analyse des 10 critères pour évaluer le meilleur appareil pour les forces aériennes helvétiques. Pour pouvoir mettre en oeuvre une telle stratégie, qui renforcerait très sensiblement les capacités de riposte helvétique, et donc accroitrait le message dissuasif du pays face à un éventuel agresseur, il est également nécessaire de disposer d’une force aérienne ayant une certaine épaisseur.

Quel serait le format le plus adapté pour les forces aériennes helvétiques

Sans disposer des objectifs stratégiques et tactiques des forces helvétiques dans leur stratégie défensive, il est hasardeux de proposer une réponse ferme à cette question. Toutefois, il est possible de proposer une raisonnement éclairé. Ainsi, pour une force aérienne moderne, il faut en moyenne 3 fois le nombre d’appareils estimés nécessaires pour assumer les missions de combat à chaque instant, un tiers des appareils étant en maintenance, et le second tiers étant utilisé pour l’entraînement sur avion d’arme des équipages. De fait, si le pays veut pouvoir disposer de 4 appareils en mission de combat aériens (et police du ciel), 6 appareils en missions de soutien et de suppression, et 2 appareils pour les missions de reconnaissance, un minimum de 36 appareils est requis.

Les appareils modernes ayant une durée de vie de 50 années aujourd’hui, il est nécessaire de prendre en considération l’attrition des aéronefs (1/10 ans), et d’ajouter une marge de sécurité de 10% pour prendre en compte les phases d’immobilisation importante, comme dans le cas des modernisations de la flotte. Nous arrivons donc à une flotte de 45/46 appareils, ce qui est beaucoup plus proche des estimations du DDPS que de celles du Think tank américain.

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Les appareils qui seront acquis par la Confédération Helvétiques seront en service pendant 50 ans, et devront donc pouvoir évoluer dans le temps pour s’adapter à la menace

La solution préconisée dans le rapport américain, repose sur le remplacement d’une partie des avions d’armes par les avions d’entraînement m-346 italien. Si l’appareil est certes performant pour un avion de sa catégorie, il n’est en aucun cas capable d’assumer des missions de combat de haute intensité, comme celles que nous avons abordé. En outre, les avions d’arme sont conçus aujourd’hui pour évoluer avec la menace, domaine dans lequel un appareil d’entrainement est beaucoup plus limité.

Disposer d’une flotte d’appareil d’entrainement n’est en rien une mauvaise chose, au contraire, il ne faut cependant pas espérer remplacer l’experience acquise par les équipages sur avion d’arme par de l’entrainement sur ce type d’appareils. Il est en effet possible d’améliorer la formation avec ce type d’appareil, en permettant aux équipages de voler davantage à moindre cout, mais il n’est pas raisonnable de remplacer le minimum d’heure d’entraînement annuel des pilotes sur avion d’arme (180 à 200 hdv/an) par des heures de vol sur ce type d’aéronef.

Il est d’ailleurs étonnant de voir le m346 apparaitre dans ce rapport sensé être impartial, car il existe de nombreux autres aéronefs d’entraînement et d’attaque ayant des performances similaires voir supérieures aux M346, qui pourraient eux aussi être listés comme alternative. On peut raisonnablement se demander si le but de cette analyse n’était pas de tenter, sans grande finesse, de positionner l’appareil italien en Suisse.

Conclusion

Il apparait de ce qui précède que les conclusions proposées par Acamar Analyse et Consulting ne sont pas étayées par une analyse factuelle objective des besoins réels de la force aérienne helvétique. Il est d’ailleurs étonnant de confier à un Think tank extérieur le soin de porter jugement sur les recommandations de ses propres forces aériennes, qui connaissent parfaitement le cadre opérationnel dans lequel elles évoluent. Les partis politiques suisses seraient avisés de les écouter en priorité, et de comprendre les raisons de leurs recommandation, plutôt que de chercher à contrer leurs conclusions sur la base d’analyses incomplètes.

D’autres pays neutres modernisent aujourd’hui leurs forces aériennes. La Suède reste basée sur une format de 100 appareils de combat pour la Flygvapnet, et les forces aériennes finlandaises ont provisionné 10 Md€ pour remplacer leurs F18, leur permettant d’acquérir entre 42 et 55 appareils. Plutôt que de faire l’article du M346 à Singapour, il eut été plus pertinent de s’interrogé sur les raisons qui ont mené ces pays, dont le PIB de 256 Md$ (Finlande) et de 538 Md$(Suède) sont très inférieures à celui de la Suisse (679 Md$), à consentir à de tels investissements pour la modernisation de leurs forces aériennes…

PS : Un article très interessant, complémentaire, tout aussi critique, et émanant d’un site helvétique écrit pas un ancien militaire spécialisé dans La Défense anti-aérienne

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