jeudi, mars 28, 2024

Acteur jusqu’ici discret en matière de furtivité, Airbus sort du bois

C’est véritablement la grande surprise de ce début de semaine. En dévoilant le Low Observable UAV Testbed (LOUT), un démonstrateur d’aéronef furtif, classifié et initié une décennie auparavant, Airbus sort du bois et s’érige de facto comme un acteur sur qui il faudra désormais compter en matière de furtivité.

UN BANC D’ESSAI POUR MAÎTRISER LA SIGNATURE RADAR

Fondé sur une approche du type « Skunk Works » – à l’instar du légendaire département d’ingénierie et de design de Lockheed Martin qui a notamment travaillé sur le SR-71 et le F-117 – le LOUT était jusqu’alors un programme classifié et portant sur le développement d’une plateforme furtive. C’est le responsable du programme Futur Air Combat System (FCAS) chez Airbus, Mario Hertzog, qui a révélé que la compagnie travaillait sur le projet depuis 2007. Il s’est accéléré à l’orée des années 2010 suite à la notification d’un contrat avec le Ministère de la Défense allemand portant sur un Very Low Observable (VLO) ground testbed, dans l’idée d’expérimenter la réduction des ondes radars, infrarouges et acoustiques. Il n’a toutefois pas précisé si le gouvernement allemand était intéressé par un programme de développement complet d’un UCAV basé sur ce démonstrateur.

Selon FlightGlobal, le modèle apparaissant sur les images fournies par Airbus aurait une envergure de 12 mètres de large sur 12 mètres de long, pour un poids de 4 tonnes, et serait utilisé pour des tests en chambre anéchoïque. D’après Aviation Week, ce modèle d’essai serait en réalité une représentation en sous-échelle d’un modèle avoisinant les 20 tonnes. Ledit aéronef présenterait des signatures infrarouges, acoustiques et radars sensiblement réduites, et serait capable de déployer des contre-mesures électroniques tout en contrôlant les émissions électromagnétiques de ses capteurs embarqués. Il est présenté comme un drone sans pilote (UAV) bien que l’on puisse distinguer la présence d’un dôme sur les photos publiées par Airbus, laissant présager une version habitée. En l’état actuel du projet, le LOUT n’a jamais pris son envol et sert principalement de banc d’essai au développement de technologies afférentes à la furtivité.

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UN LEVIER DANS LE CADRE DU SCAF

Nul doute que ce projet s’inscrit dans la coopération franco-germano-espagnole et pourrait servir de base technologique pour le SCAF car il apporte un éclairage nouveau sur les capacités de la compagnie à concevoir une plateforme furtive. De toute évidence, Airbus veut prouver qu’elle maîtrise d’ores-et-déjà l’une des briques technologiques clés pour le SCAF, à savoir la furtivité. A cet égard, le LOUT présente des caractéristiques typiques pour un aéronef optimisé pour une faible détectabilité radar puisque tous les domaines de la technologie furtive – des entrées d’air à l’échappement du réacteur en passant par le revêtement réducteur d’ondes – ont été intégrés dans la conception du LOUT.

Pour l’instant, on ignore tout du volume budgétaire alloué à ce programme mais il s’inscrit d’ores-et-déjà dans la même logique que celle du nEUROn1 de Dassault : ce dernier visait principalement à conceptualiser les différentes capacités du SCAF et à jeter les bases de leur définition et industrialisation future, en vue d’une capacité opérationnelle complète à l’horizon 2040. Tout comme le nEUROn, le LOUT reste un programme de recherche sur la furtivité et de réduction des risques de détection, à la grande différence qu’il n’a jamais pris les airs et demeure à l’état de maquette. Néanmoins, nul doute que les enseignements tirés de ce programme vont appuyer les efforts actuels sur le FCAS, qui vise à déployer une famille de systèmes de combat aérien, à savoir un chasseur de combat accompagné d’effecteurs déportés et divers types de drones sans pilotes (« Remote carrier » ou « Loyal Wingman »).

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Le Dassault nEUROn est un démonstrateur de drone de combat (UCAV) furtif et européen.

Outre l’apport en termes technologique, cette révélation revêt inévitablement une connotation fortement industrielle. En effet, il est de notoriété publique que le programme SCAF est l’otage depuis quelques mois d’intérêts industriels et politiques divergents entre la France, l’Allemagne et l’Espagne. A cet égard, le LOUT pourrait rééquilibrer la balance en venant contester la maîtrise d’oeuvre à Dassault sur le futur chasseur furtif. Toutefois, le LOUT est également un programme qui pourrait bénéficier aux effecteurs déportés que sont les « remote carrier » et qui accompagneraient le chasseur du futur en mission. A noter que la piste des drones de combats furtifs – évoquée il y a quelques jours par le général Lavigne lors d’une audition parlementaire – n’est pas à écarter non plus. A noter que Airbus a bien mis au courant Dassault de l’existence de son programme d’aéronef furtif.

DE LA PERTINENCE DE LA FURTIVITÉ

Enfin, Mario Hertzog a saisi l’occasion de cette présentation pour réaffirmer sa croyance en l’efficacité opérationnelle de la furtivité et qu’elle « est et restera un facteur de survie ». Il est vrai que dans un contexte de réactualisation des stratégies de déni d’accès et d’interdiction de zone (Anti-access/Area denial) et leur prolifération, le SCAF se doit d’apporter une solution dans la troisième dimension et la furtivité en constitue un élément de réponse à part entière. Il semble donc légitime pour Airbus d’acquérir des briques technologiques en matière de furtivité, caractéristique majeure des appareils dits de 5e génération et de 6e génération.

Or, il convient de souligner que l’avantage comparatif délivré par la furtivité demeure relatif. Outre le fait d’être onéreuse, elle est aujourd’hui menacée par nombre de nouvelles technologies en cours de développement et de déploiement, à l’instar des radars à détection passive et des radars quantiques, questionnant ainsi directement sa pertinence opérationnelle et capacitaire. Néanmoins, force est de constater que la « course » à la furtivité demeure et avec cette annonce, l’Europe se donne pour ambition d’en établir quelques jalons significatifs.

Axel Trinquier – Questions de défense européenne

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