mardi, mars 19, 2024

La crise syrienne a-t-elle entamée la crédibilité de la Défense européenne ?

Le volte-face de Washington sur le dossier syrien et son ambiguïté à l’égard de l’offensive turque ont jeté, une fois de plus, le trouble sur les relations transatlantiques. Certains membres de l’Alliance, au premier chef desquels la France, s’interrogent sur le « mode de fonctionnement » de l’Organisation. Son secrétaire général, Jens Stoltenberg, se refuse à condamner la Turquie, au risque de froisser un allié stratégique : condamnons les actes, mais pas les auteurs.

UN PARTENAIRE STRATÉGIQUE MAIS INSTABLE

La Turquie a constitué, dès les premières années d’existence de l’Alliance, un maillon essentiel de la sécurité collective. Son adhésion en 1952 a permis de consolider un verrou essentiel de la défense otanienne sur le flanc sud de l’URSS puis d’endiguer ces dernières années – autant que faire se peut – la menace djihadiste aux portes de l’Europe. Pourtant, à travers son initiative militaire, la Turquie déséquilibre dangereusement le contexte sécuritaire dans le Nord-Est de la Syrie, portant ainsi directement atteinte à la sécurité du continent européen, raison d’être de l’OTAN. Pour Olivier Breton, directeur d’étude à l’EHESS, la Turquie est « comme un loup dans la bergerie » et son maintien au sein de l’Alliance se doit d’être débattu, au risque de la pousser dans les bras de Moscou.

L’AMBIGUÏTÉ DE WASHINGTON ÉGRATIGNE L’ALLIANCE

Toutefois, le rôle des Etats-Unis est également à blâmer. En jouant leur propre carte sur le dossier syrien, et en ayant fait peu de cas des Kurdes du PYD qui se sont battus cinq années durant contre l’État Islamique, ils ont donné à la Russie le meilleur rôle : elle s’est imposée en médiatrice numéro une tout en parvenant « à imposer aux Forces Démocratiques Syriennes l’acceptation d’une Syrie unifiée sous le contrôle de Bashar al-Assad, et ce sans devoir se brouiller avec la Turquie ». Pour Nicolas Gros-Verheyde, journaliste spécialisé dans les questions de défense européenne, ce qui se passe aujourd’hui est « hors de proportion ». Il paraît en effet inédit qu’un membre ait – avec l’aval d’un autre – lancé une opération militaire, sans concertation commune au préalable, dans une zone d’importance pour l’Alliance.

L’EUROPE NE PARLE PAS D’UNE MÊME VOIX

Certains partenaires européens sont échaudés par cette situation de fait, à l’instar de la France qui, par la voix de son ministre des affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, a questionné la pertinence du « lien transatlantique » en soulignant que sur « une trentaine de pays acteurs principaux de cette coalition. Deux pays ont semé le trouble dans la solidarité de cette coalition : il nous faut en tirer des conclusions ensemble ». Côté allemand – dont on sait pourtant l’attachement profond à l’OTAN – le ton se veut également dur et à la ministre allemande de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer de déclarer que « nous sommes confrontés au fait qu’un pays, la Turquie, notre partenaire de l’OTAN (…) a annexé un territoire en violation du droit international, que des populations sont expulsées, et nous ne pouvons pas laisser les choses en l’état ».

Mais la confusion règne dans les rangs de l’Alliance. Certains dénoncent ouvertement l’intervention turque (France, Allemagne , Pays-Bas) tandis que d’autres prônent la modération par crainte d’un regain de l’afflux migratoire (Italie, Grèce) ou par souhait de ne pas s’aliéner un allié à l’heure du Brexit (Royaume-Uni).

DE LA PLACE DE L’EUROPE

L’OTAN traverse une période de troubles probablement sans commune mesure et une remise en question se veut nécessaire si ce n’est indispensable : elle peut être désormais empêchée de l’intérieur. Mais présumer de la disparition de l’OTAN paraît encore plus insensé que les actions unilatérales de l’administration Trump. Dans un scénarii où les Européens souhaiteraient prendre leur indépendance sécuritaire immédiatement, ces derniers se retrouveraient rapidement confrontés à de puissants obstacles, un challenge de taille s’ils venaient à ne pas hériter des structures de commandement de l’Alliance. Qui plus est, financièrement et politiquement, les Européens ne pourraient pallier aux dépenses injectées par les Etats-Unis.

L’Europe doit aujourd’hui se questionner sur son propre rôle dans la défense collective du continent et sur son désir – ou non – d’ériger un véritable pilier européen au sein de l’Alliance. Voilà pour l’idéal, la réalité quant à elle, est tout autre. Bien que l’Allemagne ait fait une proposition audacieuse – créer une zone de sécurité sous contrôle international à la frontière entre la Syrie et la Turquie – aucun des pays européens ne s’est clairement et distinctement prononcé en faveur de l’envoi de troupes dans la région. Or, au regard de l’état de délitement de la garantie de protection américaine, si les Européens ne sont pas en capacité de gérer certains troubles et désordres à leurs périphéries, personne ne le fera à leur place.

DE « L’AUTONOMIE STRATÉGIQUE »

Ainsi, la déflagration politique au sein de l’institution transatlantique pourrait s’avérer être sans précèdent. Il en va de la crédibilité de l’OTAN : est-elle aujourd’hui la meilleure garante de la défense européenne ? N’est-il pas déraisonnable de lier artificiellement la sécurité collective du continent à un Etat dont les intérêts stratégiques divergent sensiblement des nôtres ? La crédibilité de l’Alliance est compromise et le président français Emmanuel Macron, qui avait mis en sourdine ses exhortations à l’Europe-puissance et qui avaient tant irrité les partenaires européens deux ans auparavant, s’est à nouveau engouffré dans la brèche: « Le Proche et le Moyen-Orient est une région stratégique et de voisinage pour l’Europe (…) nous devons y rebâtir une autonomie stratégique et capacitaire de l’Europe (…) nous ne pouvons plus être les partenaires minoritaires d’autres, même si ce sont nos alliés ».

Un instant de raison conduirait à penser que sur cette mission de sécurité collective, les Européens devraient être en capacité de définir leur contribution et leur fonction dans cette tâche. Et que pour les autres missions, il y a urgence à réfléchir à la manière dont ils doivent s’organiser pour les réaliser en cas de défaillance de l’OTAN. Mais en amont, ils devraient s’intéresser à ce que signifie leur propre contribution dans leur propre sécurité, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Union. Enfin, faisant son retour à la télévision russe, le dossier syrien a été l’occasion pour nombre de présentateurs de plaisanter sur la solidarité transatlantique, à l’instar de Dmitri Kisselev qui officie sur la première chaîne de l’État : « Au vu de la façon dont les Américains ont trahi les Kurdes, les Polonais ont de bonnes raisons d’être inquiets ».

Axel Trinquier – Questions de défense européenne

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