L’US Air Force confirme son changement de stratégie industrielle

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Will Roper, le Directeur des acquisitions et nouvel homme fort de l’US Air Force, a semble-t-il eu gain de cause en ce qui concerne sa vision des futurs programmes industriels aéronautiques américains. Le 2 octobre, il a nommé le Colonel Dale White, jusqu’ici directeur des programmes de surveillance, renseignement, reconnaissance et opérations spéciales, au nouveau poste de Program Executive Office for Advanced Aircraft, spécialement créé à cet effet.

A ce poste, le Colonel White aura pour fonction de transformer le fonctionnement actuel des programmes d’acquisition et de developpement de l’US Air Force, basés sur des compétitions entre industriels et des contrats à très longs termes, comme le F35, vers une gestion en séries plus réduites, plus récurrentes et plus spécialisées, empruntant aux développements logiciels ses paradigmes de gestion de projet comme Agile. En ligne de mire, le developpement d’une nouvelle « Century series » d’appareils pour l’US Air Force, qui permettrait de concevoir des appareils spécialisés et performants, avec une maitrise des couts et des risques ventilée sur l’ensemble des programmes, et une meilleure répartition des travaux dans la BITD américaine.

Mieux répartir les travaux pour préserver la BITD

Cette dernière notion fait clairement référence à la situation difficile que traverse aujourd’hui Boeing suite au choix de Lockheed-Martin pour les programmes F-22 et F-35 de l’US Air Force, ne laissant au géant de Seattle que peu d’opportunités pour developper de nouvelles technologies et de nouveaux concepts, et risquant même de lui faire perdre une partie de ses savoir-faire dans ce domaine critique, au risque de laisser à Lockheed un monopole jugé comme problématique.

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F22 Raptor Analyses Défense | Aviation de chasse | Budgets des armées et effort de Défense
le programme Next Generation Air Dominance doit renforcer les capacités de défense aérienne de l’USAF qui ne dispose que de 182 F22 Raptors dédiés à cette mission aujourd’hui

Le parallèle avec la situation en Europe est flagrant. Ainsi, les européens, qui veulent eux aussi préserver leurs acquis et savoir-faire industriels dans le domaine aéronautique, se dirigent vers le developpement de deux nouveaux appareils, le SCAF rassemblant France, Allemagne et Espagne, et le Tempest qui rassemble la Grande-Bretagne, l’Italie et la Suède. Mais là ou Will Roper veut developper des séries spécialisées plus courtes, tant pour disposer d’appareils plus performants dans leurs missions car conçus pour, que pour mieux répartir les travaux entre industriels, les Européens restent enfermés dans le concept de l’appareil multi-fonction et les programmes à très longue échéance, menant à la conception de deux appareils qui seront aussi similaires que le sont le Rafale et le Typhoon, et abandonnant des pans entiers de marché aux industries américaines ou asiatiques.

L’exemple des frégates FREMM françaises est éclairant

Et de fait, le calcul des européens est tronqué par une mauvaise appréciation des couts des programmes, et l’ambition de toujours faire « au mieux pour moins cher ». C’est cette doctrine qui ramena la flotte de FREMM françaises de 17 unités pour 8 Md€, à 8 unités pour … 8,5 Md€. En effet, le cout industriel n’est pas lié à la production d’unité, mais principalement à la masse salariale active. Or Naval Group, à l’époque DCNS, s’était dimensionné pour la production de 17 FREMM au rythme de 1 unité tous les 7 mois pour répondre au cahier des charges du programme FREMM. Lorsque les arbitrages budgétaires à court terme firent baisser le nombre de navires, cette masse salariale, elle, restait, et la société d’Etat qu’est Naval Group ne pouvait la réduire rapidement. De fait, sur la même durée, les arsenaux de Lorient produisirent 6 FREMM, plus deux FREDA en construction, au lieu de 17, pour un cout global équivalent … Quand à la Marine Nationale, elle dut commander 5 FDI Belh@rra pour remplacer 5 FREMM annulées, car les bureaux d’étude de Naval Group et de Thales se retrouvaient en sous-activité, ce qui ajouta 4 Md€ à la note, pour des navires plus légers et moins bien armés que les FREMM, même s’ils disposent du radar Sea Fire et d’un système digital évolué.

La Marine Nationale disposera de 6 FREMM et 2 FREMM DA Analyses Défense | Aviation de chasse | Budgets des armées et effort de Défense
Le programme FREMM a été un exemple flagrant des conséquences de mauvais arbitrages et d’un manque de perspectives économiques et budgétaires à moyen terme

Mais le désastre ne s’arrête pas là, puisque les FREMM de Naval Group, au lieu de pouvoir être proposées autour de 500 m€ l’unité sur le marché international, ont vu leur prix croitre au delà de 750 m€, réduisant le marché adressable et le rapport performances-prix des navires. C’est d’ailleurs un argument comparable qui fut mis en avant par Naval Group pour justifier du developpement des FDI, moins chères et mieux adaptées que des FREMM (à 750 m€) aux compétitions internationales… On trouve plusieurs exemples similaires au cours de 20 dernières années, concernant notamment l’hélicoptère Tigre qui est passé de 10 à 35 m€ en passant de 220 à 65 unités commandées, mais aussi le Rafale, le char Leclerc … Autant de systèmes qui, aujourd’hui, mériteraient d’être disponibles en plus grande quantité dans nos armées. Au total, depuis 2000, les annulations, reports et réductions de format des programmes de Défense auront engendrés une perte de prés de 20 Md€ dans le budget d’équipements des armées.

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Vers une réduction du format de F35 dans l’US Air Force ?

Les positions et ambitions de Will Roper ne font pas que des heureux outre-atlantiques, et des voix s’élèvent déjà pour tenter de faire dérailler ce qui semble être l’initiative la plus pertinente de ces 40 deniers années en matière de politique industrielle de Défense en occident. La cause est simple : la Century série qu’il préconise viendra nécessairement éroder le format prévisionnel de F35A de l’US Air Force. En effet, avec l’apparition d’appareils plus spécialisés, donc plus performants dans leurs domaines et plus fiables, car ne nécessitant pas de devoir répondre à tous les scenarii, le F35A va rapidement se retrouver en compétition défavorable dans de nombreuses missions. A moins que l’US Air Force n’envisage de doubler son format global dans les prochaines années, il n’y aura pas assez de pilotes et personnels au sol pour justifier de 1750 F35A et 4 ou 5 avions de combat spécialisés en série de plus de 250 unités. De fait, le nombre de F35A commandés par l’US Air Force sera nécessairement appelé à diminuer.

F35A USAF Analyses Défense | Aviation de chasse | Budgets des armées et effort de Défense
L’USAF pourrait devoir réduire le format de sa flotte de F35A pour accueillir les appareils de la nouvelle Century Series

Or, le programme F35 a été conçu pour être en mesure de se battre, non pas contre d’autres appareils et systèmes sol-air, mais contre des attaques politiques et industrielles. Pour ce faire, Lockheed-Martin a distillé les investissements et activités liées au programme dans un grand nombre d’Etats et de contés, choisis pour leurs poids politiques à Washington. En outre, si le programme F35 venait a être amputé de 500 appareils par l’USAF, les conséquences en terme de prix et d’image seraient très sensibles, et restreindraient les chances de l’appareil de continuer à s’imposer sur les compétitions internationales, entravant de fait, la main mise américaine sur La Défense de ses alliés. Il n’est pas étonnant de voir, dès lors, des personnalités politiques de tout bord s’émouvoir de l’initiative de Will Roper.

Conclusion

Mais le paramètre rarement pris en compte par les diverses analyses portant sur la nouvelle Century série, le F35 et même le SCAF, c’est le planning de developpement de ceux qui sont à l’origine de ces bouleversements, à savoir la Chine et la Russie. Car si cette dernière semble mettre l’accent aujourd’hui sur le Su-57 comme base de developpement de sa prochaine gamme de d’appareils lourds spécialisés, prenant en cela le relais du Su-27, la Chine, elle, est impliquée dans un programme par « petites séries à récurrence élevée » depuis prés de 30 ans. C’est grâce à cette approche que le pays est passé, en 30 ans, de la production d’appareils de 3eme génération copiés ou sous licence russe, au J-10, J15/16 et J20 ces 10 dernières années. En moyenne, un nouveau model d’avion de combat est présenté en Chine tous les 5 à 6 ans, et nous devrions voir, prochainement, le successeur du chasseur bombardier JH-7, un bombardier tactique de 5eme génération, faire son entrée sur la place publique.

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PL15 et PL10 sur J20 Analyses Défense | Aviation de chasse | Budgets des armées et effort de Défense
EN 30 ans, la Chine est parvenue a rattraper 60 années de developpement technologique en matière d’avions de chasse. Qu’en sera-il dans 20 ans ?

De fait, d’ici 2040 et l’entrée en service du SCAF et du Tempest, la Chine devrait disposer de 3 à 4 appareils de nouvelle génération, allant de l’intercepteur lourd au chasseur léger, en passant par le bombardier tactique, et entamera l’entrée en service de la génération suivante, en ayant accumulé des compétences techniques et tactiques très importantes au fil des années. On ne peut, dès lors, qu’espérer que le profond changement de paradigmes initié par Will Roper pour l’US Air Force, serve d’électrochoc au niveau européen, pour prendre la mesure du décalage qui existe entre les stratégies et doctrines appliquées, et celles mise en oeuvre par ses compétiteurs et possibles adversaires.

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