jeudi, mars 28, 2024

Quelles alternatives pour le SCAF sans l’Allemagne ?

Bien que de nombreux efforts soient déployés des deux cotés du Rhin pour tenter de trouver un Modus Operandi cohérent entre la France, l’Allemagne et l’Espagne autour du programme SCAF, les récents rebondissements et difficultés rencontrées par le programme, essentiellement liés à des questions de politique allemande, risquent de mettre en péril son devenir. Quelles seraient, dans ces conditions, les alternatives pour chacun des acteurs, afin de répondre aux enjeux industriels et opérationnels entourant le SCAF aujourd’hui ?

L’Espagne et le retour aux sources

Le cas de l’Espagne est, de loin, le plus simple. En effet, le pays envisage déjà de s’équiper de F35B pour maintenir une composante aéronavale embarquée et remplacer ses AV8 Matador. Dès lors, l’alternative la plus simple pour Madrid, et la plus probable, serait de rejoindre le programme Tempest, en se calquant sur le modèle Italien et britannique, en s’équipant partiellement de F35 et de Tempest supplémentaires pour remplacer ses F18 et ses Matador. Rappelons que Madrid, à l’instar de Londres, Rome et Berlin, est membre du consortium Eurofighter qui produit le Typhoon. Une autre solution reposerait sur une coopération bilatérale avec la France dans le SCAF, mais elle serait peu probable si l’Allemagne venait à s’en retirer, du fait, notamment, des pressions qui ne manqueraient pas de se produire au siège de l’OTAN. En outre, dans un cas comme celui-ci, le poids relatif de l’Espagne dans le programme serait très inférieur à celui de la France, qui garderait toutes les clés du programme.

Typhoon AIM120 Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
En tant que membre d’Eurofighter, l’Espagne pourrait rapidement basculer vers le programme Tempest

L’Allemagne entre sécurité et renoncement

Comme pour l’Espagne, l’hypothèse la plus probable si Berlin venait à se retirer du SCAF serait un basculement vers le programme Tempest, une hypothèse par ailleurs soutenue par de nombreux politiques, industriels et même militaires outre-Rhin. En effet, l’industrie allemande a su, au cours des programmes Tornado et Tempest, developper des relations équilibrées et même favorables avec les industries britanniques et italiennes. Mais les ambitions technologiques de l’Allemagne dans le Tempest ne pourront être au niveau de celles dans le SCAF, de part la présence de plus d’acteurs, et donc d’un poids relatif plus faible dans le programme. On comprend pourquoi cette hypothèse n’a pas les faveurs d’Airbus DS, qui espère faire du SCAF le programme de transition lui permettant de devenir avionneur militaire à part entière dans le domaine des avions de combat. En revanche, Berlin pourrait faire le parie d’un bon technologique important à moindre frais, puisque BAe comme Leonardo, tous deux partenaires du programme F35, ont développé leurs compétences dans des domaines clés comme la furtivité ou la fusion de données. En outre, le calendrier du Tempest, prévu pour entrer en service en 2035, et non 2040 comme le SCAF, pourrait fournir un avantage commercial pour le remplacement des premières générations de Typhoon, notamment en Arabie saoudite.

Contrairement à Madrid, il est peu probable que les autorités allemandes reviennent sur leur décision de ne pas acquérir de F35, tout du moins tant que la coalition actuelle entre la CDU et le SPD reste au pouvoir. En revanche, si le paysage politique allemand venait à évoluer, on peut s’attendre à voir l’OTAN et la Luftwaffe revenir à la charge pour en acquérir quelques escadrons de l’appareil de Lockheed pour remplacer ses Tornado, plutôt que de choisir le Typhoon comme le souhaite le gouvernement actuel.

F35A USAF Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
La Luftwaffe et l’OTAN ne manqueront pas de tenter de replacer le F35A en Allemagne si une nouveau paysage politique venait à émerger

La France face à plusieurs opportunités

La France apparaitrait, de prime abord, comme la grande perdante si l’Allemagne venait à se retirer du programme SCAF. En effet, l’hypothèse de rejoindre le programme Tempest condamnerait des pans entiers de savoir-faire technologiques sur l’autel du partage industriel, bien davantage que pour le SCAF, a propos duquel ce problème avait déjà été soulevé. Il resterait cependant à la France, pour maintenir ses savoir-faire industriels, et son rang opérationnel, 3 solutions loin d’être dénuées d’intérêts :

Le SCAF Solo

La solution la plus évidente serait de developper seule le programme SCAF, dans une rediffusion de ce que furent les programmes Rafale et Typhoon, deux appareils sensiblement similaires tant dans l’aspect que dans les performances, et s’opposant systématiquement dans les quelques compétitions internationales que les Etats-Unis, la Chine et la Russie daigneront laisser aux européens. Si les couts de developpement et de fabrication, qui seraient évidemment plus élevés si la France développait seule le SCAF, seront compensés au niveau du budget de l’Etat par les recettes sociales et fiscales générées[efn_note]Principe de La Défense à Valorisation Positive[/efn_note], le volume restreint d’appareils limitera sensiblement les économies d’échelle sur la production, et donc la compétitivité de l’appareil, comme ses cycles d’évolution.

Le SCAF international

La seconde solution, pour la France, serait d’ouvrir son programme à des pays ne disposant pas d’une BITD majeure en matière de construction aéronautique, de sorte à créer un pool de partenaires et compenser le départ de l’Allemagne. En dehors de l’Espagne, des pays comme la Grèce, la Suisse et la Finlande peuvent être envisagés en Europe, ainsi que la Belgique, même si cette dernière a fait le choix du F35. D’autres pays, notamment asiatiques, sud-américains ou du Moyen-Orient, pourraient avoir intérêt à rejoindre le programme, comme la Malaisie, le Brésil et les Emirats Arabes Unis. A l’instar du F35, le SCAF deviendrait dès lors non pas un programme multi-national mais international, rassemblant un nombre important d’acteurs agissant comme proxy dans leur sphère d’influence. L’industrie française conserverait une part très importante du programme en matière d’étude et de recherche, les partenaires ayant principalement un intérêt à developper des compétences industrielles de production.

Maquette du SCAF Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
La France pourrait inviter d’autres acteurs, moins prédominant que l’Allemagne, et plus complémentaires en matière commerciale, pour maintenir le développement du programme SCAF

Un des avantages d’une telle approche, est qu’elle peut s’établir dynamiquement, sans accords ab initio entre tous les acteurs. Ainsi, la France pourrait démarrer seule le programme, et incorporer les partenaires industriels étrangers de manière dynamique dans le temps, selon un modèle préalablement établi et pondéré, à l’instar de ce qui fut fait autour du programme NEURON. En procédant ainsi, le programme n’aurait pas à subir de retard, du à des négociations difficiles. En outre, le volume d’appareils serait plus important, et chaque acteur pourrait agir dans sa sphère d’influence pour promouvoir l’offre, plutôt que de devoir se chevaucher sur des sphères qui se superposent, augmentant le nombre probable de ventes à l’exportation.

Le SCAF étendu

Troisième et dernière solution, la France pourrait décider de concevoir un appareil complémentaire au Tempest, tout en rejoignant le programme européen. Dans cette hypothèse, la BITD participerait, à un niveau cohérent avec le partage industriel entre les acteurs, à un programme SCAF/Tempest fusionné, et développerait, parallèlement, ou légèrement en amont, un appareil de 5eme génération avancé monomoteur léger, destiné aussi bien à valoriser le savoir faire français dans ce domaine depuis l’avènement des mirage, qu’à étendre considérablement le marché adressable à l’export par l’offre française, qui disposera de deux appareils différents dans sa gamme.

Mirage 2000 5 de lArmee de lAir deploye pour loperation Baltic Air Policing de lOTAN Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Un appareil léger monomoteur de 5eme génération conçu par la France pourrait rapidement remporter un important succès sur la scène internationale, comme le Mirage III, F1 et 2000 avant lui

En procédant ainsi, la BITD française maintiendrait l’intégralité des compétences nécessaires à la conception d’un avion de combat, alors que, parallèlement, les BITD européennes se seront enfermées dans un modèle collaboratif interdisant toute initiative individuelle. En outre, la France retrouverait une partie du marché perdu depuis la fin de la chaine mirage 2000, et aujourd’hui captif du F16V, malgré les efforts suédois. Car si le Rafale n’est pas à la portée de toutes les bourses, mêmes pour de nombreux pays européens, le SCAF/Tempest le sera encore moins, tant le programme se veut ambitieux. Avec un appareil léger de 5ème génération, plus abouti et mieux conçu que le F35, mais d’un niveau supérieur vis-à-vis des K-FX, T-FX et autres J10D, la BITD française pourrait retrouver ce qui fit son succès pendant les années 60, 70 et 80.

Conclusion

On le voit, chaque pays dispose d’un ou plusieurs plans B, si le SCAF dans son format actuel venait à se retrouver dans une impasse. C’est peut-être, d’ailleurs, une des causes des difficultés actuelles, car il est clair que certains oeuvrent ouvertement pour privilégier ces plans B, plutôt que de chercher à solutionner les entraves au plan principal. Il n’en demeure pas moins que les formats actuels des programmes SCAF et Tempest tendent à générer eux-mêmes des divergences et des difficultés, tant les ambitions exprimées au niveau industriel divergent des réalités négociées. On ne peut que regretter, dès lors, la rigidité des modèles tant au niveau industriel, militaire et politique, qui empêche l’ensemble des acteurs des deux programmes de concevoir une approche cohérente et efficace, à tous les niveaux, comme par exemple le principe du Scaf étendu.

On peut se demander toutefois si, en France notamment, cette myopie n’est pas volontaire, et conditionnée par la crainte de voir le politique se précipiter vers le developpement d’un appareil plus léger et plus économique, au détriment d’un appareil bimoteur moyen, comme ce fut le cas lorsque l’Industrie aéronautique française et l’Armée de l’Air décidèrent de fermer la chaine de production de mirage2000 pour ne pas risquer de voir les commandes nationales de Rafale diminuer (ce qui arriva tout de même plus tard). L’utilisation raisonnée de la démonstration du retour budgétaire de l’investissement de Défense de la doctrine Défense à Valorisation Positive, et l’analyse objective des évolutions des menace et de la pression opérationnelle, devraient toutefois permettre d’éviter des décisions politiques hâtives et malencontreuses, tout en préservant les bénéfices de cette approche originale et performante.

- Publicité -

Pour Aller plus loin

RESEAUX SOCIAUX

Derniers Articles