mardi, mars 19, 2024

L’armée de l’Espace US monte en puissance

Les dernières semaines ont vu plusieurs annonces du Pentagone et du gouvernement américain en direction de la 4éme dimension : l’Espace. Cette gesticulation n’est pas anodine. Elle traduit la mise en œuvre du « Commandement de l’Espace» américain et les enjeux stratégiques, doctrinaux et techniques s’y afférant.

La militarisation de l’espace n’a cessé de monter en puissance depuis la fin de la guerre froide et la seconde guerre du Golfe (1991). Elle se situe au carrefour de l’éclatement géostratégique issu de l’effondrement du bloc soviétique et de l’irruption des NTIC dans la conduite de la guerre dite « réseau -centrée » ou « info-centrée ». Multiplicateur de force fondamental, clé de voutes des systèmes C4ISR  mais se bornant à une fonction d’appui, l’utilisation à des fins militaire de l’Espace était dans les années 1990 le fait d’un club très refermé de nations (EU, Russie, France…). Cette donne a largement évoluée par la progressive banalisation de l’accès à la quatrième dimension (une soixantaine de pays aujourd’hui) et l’irruption de nouveaux acteurs institutionnels (Chine, Inde, Japon, Israël, Iran…). On note également l’apparition du « New Space ». Un écosystème d’acteurs privés ne se contentant plus d’être des opérateurs mais également concepteurs, développeurs, constructeurs et surtout lanceurs.

Certains sont aujourd’hui en passe de contester la prééminence de certains acteurs jusque-là prédominants [efn_note]Le lanceur renouvelable de Space X est un concurrent très sérieux pour Arianne VI d’Airbus/Arianespace. La France se pose très sérieusement la question de la volonté à long terme d’un déni de notre accès souverain à l’Espace[/efn_note]. Favorisé dès les années 2000 par l’administration américaine et débouchant sur une baisse importante des coûts et une miniaturisation des pièces, le « New Space » accouche d’un écosystème et d’un marché mondial du spatial de plus en plus mature. Par là-même il participe lui aussi à changer la nature de l’appréhension stratégique de cette 4éme dimension.

De l’Espace militarisé à la 4ème dimension arsenalisée

La combinaison de la compétition, notamment militaire, entre les états, le caractère de marqueur stratégique de l’Espace et la banalisation de son accès le font muter  d’une dimension d’appui à une dimension supplémentaire de combat. En d’autres termes la militarisation de l’espace poursuit sa progressive vers l’arsenalisation. Dans les années 1990 les utilisations militaires de l’Espace concernaient trois « composantes » principales :

  • L’Observation (ROIM) et Elint [efn_note]Electronic Intelligence [/efn_note] (ROEM) en orbite basse (- de 2000km), utilisant des satellites dit  « défilants)
  • Le Géo-positionnement (GPS, Galileo) en orbite moyenne (entre 2000 km et 5000 km)
  • Les Télécommunications, transmissions de données et alerte [balistique] avancée[efn_note] Les systèmes d’alerte avancée utilisent également l’orbite basse[/efn_note] en orbite « géosynchrone » (satellites stationnaires à 36 000km)

Ces composantes conféraient à l’Espace le statut de clé de voute des architectures C4ISTAR des armées occidentales fondant leur supériorité technologique et informationnelle. Sans espace pas de processus de ciblage et des capacités de renseignement électroniques (écoute, brouillages, intoxications…) limitées ; pas de transmissions de données à haut débit en temps réel, au sein des architectures C2, pas de guidage des drones HALE et MALE, pas de géolocalisation des vecteurs sur théâtre (nécessaire à leur mise en réseau) ou de guidage GPS des munitions (Croisière, Balistique…), etc… . Ces capacités sont appelées à se renforcer via l’usage de l’IA dans la transmission et la fusion des données au volume exponentiel, la systématisation du combat collaboratif interarmes, la multiplication des orbites de microsatellites ou bien l’évolution des systèmes d’alerte avancée destinés à prendre en compte la menace des missiles balistiques hypersoniques… . Autant d’avancées technologiques permises entre autre par le « New Space »

MQ 4C Triton USN Analyses Défense | ASAT | Communication et Réseaux Défense
Les drones MALE et HALE sont dépendant d’une liaison satellite avec le centre de controle

En revanche, l’émergence de nouveaux acteurs spatiaux implique aujourd’hui une incrémentation de la conflictualité dans une dimension désormais vitale pour tout pays prétendant à accroitre ou maintenir son influence et sa puissance. Les états-majors occidentaux sont donc aujourd’hui forcés d’anticiper de nouveaux risques dans l’espace. Car tout déni d’accès ou neutralisation/destruction des capacités nuirait de manière rédhibitoire aux armées occidentales dans leurs capacités à entrer en premier dans des environnements semi et non-permissifs voire d’utiliser tout simplement la majeure partie de leurs systèmes. Les troupes déployées sur les théâtres d’opération deviendraient aveugles et les unités isolées[efn_note] Même dans le cadre des doctrines d’environnements dégradés qui anticipent ce genre de scénario.[/efn_note] .

La radicalisation croissante des rapports de force internationaux fait à présent peser des menaces variées qu’elles soient cyber (piratage  des logiciels au sol ou en orbite), électromagnétique (brouillage des données SatCom ou de géolocalisation), sabotage/capture/déplacement de satellites, voire des menaces cinétiques telles que des missiles antisatellites (tirs depuis la surface ou les airs voire un jour Espace-Espace) ou la programmation de « satellites-tueurs ». On note au passage qu’une large partie des menaces concernent des vecteurs spatiaux susceptibles de neutraliser ou détruire d’autres vecteurs. La connaissance de l’environnement spatial est alors fondamentale. La capacité « surveillance de l’Espace » est déjà un enjeu stratégique depuis 20 ans. La densification croissante du trafic spatial combiné à la hausse de la conflictualité la rend incontournable[efn_note]Elle est également très importante concernant la gestion des débris [/efn_note]. Elle est encore aujourd’hui le fait d’un club resserré de nations (EU, Russie, France, Chine, bientôt le Japon…). L’enjeu technique la caractérisant est son évolution vers la surveillance de l’Espace depuis l’Espace afin de compléter les systèmes de radars au sol.

Les États-Unis tachent d’affirmer nettement leur leadership dans l’espace de demain

Ce contexte stratégique débouche sur une inflation de doctrines, d’architectures  et production de vecteurs au sein des principaux états-majors occidentaux. Ce sont les États-Unis qui, les premiers, face aux gesticulations spatiales Russes et Chinoises notamment, ont entrepris la création d’un « Commandement de l’Espace » fin 2018. Les récentes déclarations et projets entrepris démontrent qu’il ne s’agissait pas d’un effet d’annonce. Cette annonce est le débouché logique de 15 ans de prospectives sur l’arsenalisation de l’Espace. Les crispations internationales et le réarmement global matérialise de plus en plus cette perspective contraignant les puissances spatiales à réagir. Les mois d’août et septembre 2019 ont été très riches en annonce du Pentagone et du gouvernement à destination de l’Espace. En deux mois ont été confirmés :

  •  L’augmentation des bandes-passantes SatCom à destination des troupes déployées sur théâtre,
  • L’arrivée imminente du système d’alerte avancée de nouvelle génération,
  • Un milliard de dollars ont été débloqués pour la DAMB[efn_note]Défense Anti-Missiles Balistiques [/efn_note] hypersonique
  •  La mise en place prochaine d’un système  de surveillance de l’espace profond afin d’anticiper des menaces conventionnelles au-delà de l’orbite Géosynchrone.

La surveillance de l’espace profond est peut-être  d’un point de vue stratégique et prospectif la plus intéressante. Tant en termes d’innovation technologique et doctrinale que d’implication géopolitique. En effet, en prévoyant des menaces au-delà de l’orbite Géosynchrone, l’armée américaine déplace mécaniquement l’horizon géostratégique « terrestre » vers le voisinage de la Lune. Crédibilisant les menaces d’affrontements conventionnels dans l’espace à  moyen terme.

Satellite Analyses Défense | ASAT | Communication et Réseaux Défense
L’acquisition de renseignement, qu’ils soient électromagnétiques ou optiques, est une des principales missions confiées aux satellites militaires

Par ruissellement les EU tablent également sur la nécessité de créer un nouveau domaine du renseignement dédié à l’Espace[efn_note]Un Renseignement d’Origine Espace (ROES) en quelques sorte [/efn_note] et à l’usage de l’Espace qui déboucherait potentiellement sur la création d’un centre de renseignement [spatial] indépendant de l’US Air Force et par voie de conséquence de doctrines et d’architecture du renseignement propre à la 4ème dimension.
La situation témoigne d’un volontarisme important qui matérialise la conscience des américains des enjeux vitaux auxquels ils sont confrontés. Cette nouvelle grille de lecture spatiale semble avoir  rapidement fait école…

La France veut conserver son rang de grande puissance spatiale

En tant que vieille nation militaire et spatiale, la France a pris conscience progressivement du progressif changement de nature de la 4ème dimension. Toutefois, l’effort doctrinal récent semble avoir été provoqué par deux électrochocs : l’annonce du Président Trump de la création de l’US Space Command en 2018 et la médiatisation de l’affaire du satellite Russe s’étant approché du satellite de télécommunication Franco-Italien Athena-Fidus en septembre 2018. C’est ainsi que fin 2018, le président Emmanuel Macron et la ministre de la Défense Florence Parly médiatisent la nouvelle stratégie spatiale française se matérialisant dans le document « Stratégie Spatiale de Défense » complété, sommairement, par « Imaginer au-delà : document d’orientation de l’innovation Défense » en 2019.

Il apparait regrettable en terme de prospective que la France se mette dans une posture aussi « réactive » voire à la remorque doctrinale des États-Unis[efn_note]Ce qui serait assez inédit depuis la fin de la décennie 1990, période à partir de laquelle la France commence à élaborer des concepts et doctrines d’emplois plus originaux après le « traumatisme » de la seconde guerre du Golfe et des conflits de l’ex-Yougoslavie [/efn_note] . Toutefois la France a fait la preuve de sa vigueur intellectuelle dans les « War studies » et dispose de l’important ReTex de ses nombreuses opérations extérieures depuis 30 ans. On peut présumer que les évènements « déclencheurs » décrits plus hauts consistèrent plus en des prétextes médiatisés afin d’obtenir un effet d’annonce international plus important. Il n’en demeure pas moins que la France est la seconde nation occidentale, voire mondiale, à se doter officiellement d’une stratégie spatiale.

Galileo satellites Analyses Défense | ASAT | Communication et Réseaux Défense
Les satellites de la pleiade Galileo permettent aux européens de disposer d’un système de positionnement indépendamment du système GPS Américain.

Cette dernière  est tournée vers la préservation de son existant en renseignement optique (Hélios II, Pléiade, CSO), télécommunications (Syracuse, Athena-Fidus), Géo-positionnement (Galileo) et  renseignement électromagnétique (Céres). Elle semble vouloir également développer ses capacités radars et d’alerte avancée pour le moment sommaires voire inexistantes. Tous ces éléments sont nécessaires à la préservation de ses capacités de soutien aux opérations. 

Le cœur de la nouvelle stratégie spatiale de défense est toutefois largement tournée vers la défense active et passive de ses satellites face à toute les menaces cyber, électromagnétiques (brouillage notamment), déni de service en orbite (amarrage, détournement, capture, sabotage…) mais également d’autres menaces plus conventionnelles : actions cinétiques (missiles Asat, dégradation des segments au sol…). La surveillance de l’Espace n’est pas négligée, prévoyant le remplacement du système GRAVES et l’accrétion des capacités dans ce domaine. Enfin une très large part est accordée à l’innovation technologique via la cybersécurité et l’usage croissant de l’Intelligence Artificielle, les solutions opérationnelles offertes par les « microsatellites » ainsi que le développement de technologies « duales », civilo-militaires. Ces dernières sensées améliorer entres autres la redondance des vecteurs  et par là la profondeur capacitaire.

On note certaines limites, comme la prise en compte de l’espace dans la DAMB hypersonique qui reste vague. Par ailleurs, la France choisit de se doter d’une stratégie active mais défensive quand les États-Unis ont d’ores et déjà annoncé doter à terme leur « Space Command » de systèmes d’armes létaux.  Enfin, on note tout de même des mesures concrètes avec la dotation d’un budget de 3,6 milliards d’Euros accordés dans le cadre de la LPM 2019-2024 et la création d’un début de commandement spatial unifié sous la houlette de l’armée de l’air désormais appelée armée de l’Air et de l’Espace. Si les menaces sont bien identifiées, la stratégie spatiale de défense reste une feuille de route généraliste sans effet directement exécutifs. Les mois et les années à venir seront déterminants afin de mesurer le volontarisme français dans les capacités de défenses concrètes dont nous aurons fait le choix de nous doter, à l’image des États-Unis.


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