jeudi, mars 28, 2024

La nécessité d’une IA au service de la Défense française

Le 13 septembre 2019, lors de l’Université d’été de la Défense, Madame la ministre Florence Parly a communiqué le rapport de la Task Force IA nommé « L’IA au service de la Défense » précisant la stratégie du ministère des Armées sur cette technologie de rupture. La nature de la guerre reste la même malgré le temps. Il s’agit toujours d’un duel de volontés. Mais la guerre s’étend sur de nouveaux domaines. La maîtrise des nouvelles technologies, telle que l’IA, a toujours été un préalable afin de maintenir sa supériorité opérationnelle. Le rapport mentionne cet impératif maintes fois. L’IA est bien « une technologie stratégique » indispensable pour les années à venir. Le travail fourni par cette Task Force a vocation à être une feuille de route fiable sur un temps long pour les armées françaises.

La captation des cerveaux par les GAFAM menace l’indépendance stratégique

Le constat de la course à la maîtrise de l’IA est claire. Deux « superpuissances » sont en avance sur le reste des États : les États-Unis et la Chine. Les premiers s’appuient sur les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), tandis que la Chine se repose sur les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). Ces différents acteurs captent de manière agressive les individus ayant le savoir-faire de développer l’IA adéquate. A cette fin, la captation de ces cerveaux par les GAFAM est clairement évoquée. Ces entreprises sont devenues essentielles dans le développement de cette technologie comme semble le démontrer l’annonce de Google ayant atteint la supériorité quantique. Cette dernière notion permet une augmentation du traitement considérable par l’usage de processeur quantique par rapport aux ordinateurs actuels. Néanmoins, l’article de l’équipe de recherche de Google a très vite été retiré.

BATX Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
La Chine aussi dispose de ses entreprises phares de nouvelles technologies, rassemblées dans l’acronyme BATX

De même, ces entités peuvent avoir des intérêts contraires à ceux de la France. La course à la maîtrise de l’IA implique aussi bien les acteurs privés que les États. L’Union européenne semble être en voie de devenir une puissance normative en matière d’IA, domaine où l’encadrement juridique reste à définir. A ce titre, l’Union a érigé ses lignes directrices en matière d’éthique afin d’acquérir une IA digne de confiance. A cette fin, le rapport rappelle la position française sur les SALA. Ces derniers n’existent pas et « interdiction préventive ne permettrait pas de répondre aux défis juridiques et éthiques posés par ces systèmes ».

La réponse du Ministère des Armées

La France ne compte pas être un spectateur passif, au contraire elle est l’une des puissances ayant le plus fort taux de développement en la matière au niveau européen. Le ministère des Armées compte ainsi sur son plan d’actions pluriannuels décomposé en trois phases.

  • La première, de 2018 à 2019, est semblable à une phase d’audit des besoins et de méthodologie. Elle vise à la construction d’une première capacité technique et méthodologique au service de la donnée, essentiellement à partir de plateforme d’ouverture, d’exposition et d’exploitation de données (POCEAD). Ce dernier va fixer le cadre ministériel de gouvernance ainsi que les outils opérationnels permettant sa mise en œuvre. Cette phase détermine les seuils de qualité et d’exploitation des données afin d’optimiser les futurs apprentissages de l’IA.
  • La seconde, durant l’année 2020, va consolider les capacités techniques et du socle méthodologique en s’appuyant sur les retours d’expérience issus de POCEAD et des cas d’usage expérimentés sur ARTEMIS (Architecture de traitement et d’exploitation massive de l’information multi-sources). Ce dernier vise à veiller à l’ouverture des différentes bases de données de tous les services du ministère des Armées françaises. Par ce décloisonnement des bases de données, les approches pluridisciplinaires des opérations seront facilitées.
  • La dernière, en 2021, consiste en une « maturité organisationnelle dans la maîtrise des données, en phase avec la mise en production d’ARTEMIS, et permettant de répondre aux enjeux stratégiques du ministère ». Il s’agit donc d’une phase de réajustement et d’amélioration.

Ces trois phases permettent de construire une réelle stratégie de la donnée, vitale pour parvenir à une IA la plus performante possible.

Afin que chaque personnel le nécessitant puisse bénéficier du soutien de l’IA, même dans des situations dégradées telles que les OPEX, un effort est consacré au Cloud du ministère. Ce dernier suivra la logique du schéma en cercles de la stratégie Cloud de l’État. Des dispositifs souverains en la matière sont des impératifs identifiés afin d’être pleinement autonome.

Quatre domaines d’applications de l’IA sont visés par la stratégie du ministère des Armées.

Tout d’abord, il s’agira d’une aide à la décision en planification et en conduite. Par exemple, l’IA pourra définir des itinéraires les moins dangereux possibles pour le personnel sur le terrain. L’IA sera également essentielle aux décideurs militaires en raison de sa confrontation à une explosion quantitative de données par l’augmentation des transmissions avec les soldats sur le front et des images recueillies par les drones. Or, il est primordial de pouvoir analyser et traiter celles-ci de manière la plus efficiente possible afin d’obtenir la meilleure décision pour parvenir à imposer sa volonté sur le champ d’affrontement. De même, l’utilisation de l’IA par les décideurs va vraisemblablement provoquer une accélération des cycles décisionnels grâce à une meilleure planification.

Deuxièmement, le combat collaboratif sera grande améliorée. In fine, l’IA permet une meilleure préparation au déploiement et affrontements sur le terrain. En effet, les simulations deviendront de plus en plus précises. Dès lors, les industriels pourraient s’appuyer sur ces dernières pour proposer et tester des équipements au plus près des besoins des opérateurs situés sur le terrain. De même, les opérateurs seront mieux préparés à leurs déploiements futurs grâce aux simulations proposées par l’IA prenant en compte les conditions topographiques et météorologiques locales. Par cette technologie, les équipements modulables des armées seront mieux adaptés au terrain. En testant les diverses combinaisons possibles, l’IA sélectionnera la plus adaptée à la situation à venir. L’opérateur pourra ainsi s’y entraîner et valider ou non la proposition de l’IA. Il est néanmoins vital que l’opérateur ne suive pas aveuglément l’IA. Son esprit critique doit rester pleinement efficient.

Troisièmement, l’application de l’IA en matière de cyberdéfense sera déterminante. En effet, le temps de réaction lors des cyberopérations est de plus en plus raccourci. L’IA va permettre de réagir dès la détection de cyberopération hostile, d’autant plus que l’IA peut être usée de manière offensive. Par exemple, la société IBM a dévoilé en 2018 le protocole DeepLocker. Ce dernier permet de rendre un malware furtif en l’implémentant dans un logiciel tiers. L’activation de ce malware se fait grâce à l’IA.

Atelier Rafale 1 Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
La Maintenance des aéronefs profitera des développements en matière d’Intelligence artificielle, pour anticiper les besoins et optimiser la gestion des pièces détachées

Enfin, la MCO sera affinée grâce à cette technologie. En France, le constat de la mise en disponibilité des moyens aéronautiques des armées est effarant. En 2017, moins de 50 % des flottes d’aéronefs français étaient disponibles. L’IA peut permettre de résoudre cette crise. Dès lors, elle est bien un facteur de supériorité opérationnelle. Par exemple, le Data mining, l’exploration de données, permet d’augmenter la MCO en gagnant en disponibilité et en coût. Cela va nécessiter de consolider les détections de signaux faibles. Ceci sera possible par une montée en puissance de l’apprentissage de l’IA en matière de systèmes d’armes par un partage massif de données entre les entreprises constituant la BITD. A cette fin, une numérisation des équipements est le nécessaire préalable. Il doit y avoir une modélisation 3D courante des équipements utilisés afin de comparer l’état actuel du système d’arme à son référentiel de sortie d’usine. De même, certaines tâches de MCO sont destinées à s’automatiser via l’usage d’algorithmes d’optimisation, ou par l’usage de drones, afin d’obtenir une meilleure planification des MCO.

Les Outils de la France dans ce combat

Pour que la stratégie du ministère soit efficiente, il est nécessaire d’investir dans une réelle industrie française en matière d’IA. En effet, la ministre rappelle le besoin « d’ une souveraineté à développer en matière d’industrie de Défense française et européenne ». Chose qui peut être vivement encouragée par le plan de soutien aux start-up françaises annoncé. Cependant, il est nécessaire d’être vigilant sur la captation de certaines d’entre elles par les GAFAM. L’exemple du rachat de la start-up anglaise DeepMind Technologies par Google prouve ce danger, et un cruel manque d’innovation pour les Etats. Malgré ces critiques, l’avenir semble prometteur. En effet, la DGE et la Banque Publique d’Investissement France ont lancé un appel à projets sous la forme de challenges dans le cadre du Programme d’investissement d’avenir. Certains d’entre eux concernent le domaine de la sécurité et de la défense, notamment le domaine de la simulation de défense, ou encore de l’efficience des données disponibles en vue de l’apprentissage de l’IA. La recherche en matière d’IA doit venir aussi bien des milieux de la recherche classiques que des industriels, tous soutenus par l’État. La puissance maîtrisant le plus la technologie de l’IA sera la plus légitime à imposer ses normes au niveau international. Or l’encadrement juridique de cette technologie reste encore à définir. A ce titre, il s’agit d’un des objectifs principaux de la Chine.

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