Pourquoi le retour budgétaire de l’investissement dans l’industrie de Défense est supérieur à 100% en France ?

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Depuis les années 70 et les deux chocs pétroliers, les investissements dans l’industrie de Défense nationale ont très souvent été perçus politiquement, et publiquement, comme un mal nécessaire, qu’il convenait de réduire et d’optimiser, au point de mettre à mal aujourd’hui l’efficacité de l’outil militaire français. Outre la perception de son impact sur la pression fiscale, ils sont également perçus comme économiquement et socialement improductifs, et comme venant en déduction les capacités d’investissement de l’Etat dans des domaines plus « importants », comme la santé ou l’éducation. Cette instrumentalisation du phénomène d’éviction, c’est ainsi qu’est désigné en économie le fait de déshabiller Paul pour habiller Jacques, a même donné lieu à des comparaisons directes entre l’achat d’un équipement, et l’utilisation potentiellement équivalente de cette somme par l’Etat pour des postes d’infirmières ou d’enseignants. Ainsi, lors de l’intervention de la France en Syrie, dans une coalition avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, certains médias nationaux firent leurs titres sur le prix de l’opération, et des munitions tirées, de sorte à créer un sentiment de dépenses « inutiles » dans la population.

Pourtant, l’étude méthodique des effets économiques et sociaux théoriques et constatés de l’investissement dans l’industrie de Défense offre une vision très différente de la situation, susceptible d’inverser la perception globale des couts qui lui sont associés et des effets d’éviction, et peut apporter une approche radicalement différente concernant les arbitrages budgétaires de Défense. Cette étude est issue de la doctrine Défense à Valorisation Positive, et du programme Socle Défense, qui proposent une approche innovante pour le financement et l’organisation globale de l’effort de Défense en France comme en Europe, de sorte à parvenir à l’autonomie stratégique, à renforcer le rôle de la France et de l’Europe sur la scène internationale, et à réduire les risques de conflits majeurs sur le continent comme face à des puissances technologiques ou nucléaires.

La fregate 22Languedoc22 une des 6 fregates de 1er Rang FREMM Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | Exportations d'armes
Avec seulement 15 frégates de premier rang, la Marine Nationale n’a pas les ressources suffisantes pour assurer l’ensemble des missions présentes et à venir

Pour cette démonstration, nous étudierons l’efficacité budgétaire et sociale d’un investissement de 1 million d’Euro par an dans l’industrie de Défense, pour en déduire le nombre d’emplois créés et sécurisés, les recettes et économies sociales générées, ainsi que les recettes et économies sur le budget de l’Etat consécutives de cet investissement.

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1- Les emplois créés

Ces dernières années, 2 valeurs clés ont été communiquées concernant la BITD, ou Base Industrielle et Technologique Défense, chacune issue d’un périmètre propre :

  • 160.000 emplois pour 16 Md€ de CA
  • 200.000 emplois pour 20 Md€ de CA

La différence entre ces deux valeurs provient du périmètre considéré pour définir quelles activités entraient dans le périmètre de la BITD. Toutefois, le résultat final reste le même, puisque dans les deux cas, un investissement de 1 million d’euro annuel finance 10 postes dans la BITD sur une année. Cette valeur est cohérente avec le rapport de valeur ajoutée moyenne créée par salarié en France, qui se situe autour de 83.000 € par an, là ou l’industrie de Defense, par nature technologique, évolue autour de 100.000 € par an.

En revanche, le poids salarial moyen d’un salarié en France n’est que de 45.000 € par an ; nous prendrons 50.000 € comme valeur de référence dans la BITD. Dès lors, une fois déduit le cout salarial moyen des 10 emplois créés précédemment, il reste 500.000 € sur le million d’euro investi, destinés à payer les taxes d’entreprise (hors TVA, que nous ne considérerons pas ici), la rémunération des actionnaires, et surtout les sous-traitants non issus de la BITD, appartenant aux entreprises de service et sous-traitants industriels, de l’entreprise. Sur ces 500.000 euros, 300.000 sont ainsi consacrés à ce réseau de sous-traitance, générant 4 emplois de premier niveau, et 6 emplois indirects au total par récursivité.

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Rafale.SCALP EG AdlA 1068x710 Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | Exportations d'armes
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Cette valeur de calcul est inférieure à la valeur constatée par les études terrain menées en France sur les différents bassins d’emploi ou évolue l’industrie de Défense, notamment à Toulon, Lorient-Brest, et Bourges, présentant un nombre d’emplois indirects créés par million d’euro allant de 7 à 14, avec une moyenne à 9. La différence est certainement liée à la définition utilisée pour caractériser un emploi indirect. En effet, plusieurs études prennent comme référence un emploi consacrant plus de 50% de son activité à la Défense. Dans une approche macro-économique, l’approche sur l’emploi se doit d’être intégrale, pour évaluer le nombre d’emplois potentiellement créés par l’injection de 1 million d’euro supplémentaire par an dans l’industrie de Défense, raison pour laquelle nous privilégions la valeur de calcul de 6 emplois indirects créés, et non la valeur de 9 emplois indirects constatés sur le terrain, par million d’euro investis.

En outre, ces 16 emplois créés vont consommer une part importante de leurs salaires dans le bassin d’emploi, créant des emplois de consommation, ou emplois induits. Sur la base d’un cout salarial annuel de 50.000 €, les salariés vont donc injecter 15.000 € en moyenne par an dans la consommation, générant 4 emplois directs, et 2 emplois indirects, soit 6 emplois induits. Là encore, les valeurs remontées par les études terrain sont supérieures, atteignant 8 emplois créés pour les 19 emplois directs et indirects générés.

De fait, 1 million d’euro investi dans l’industrie de Défense chaque année va générer 10+6+6 = 22 emplois de calcul, ou 27 emplois constatés dans le pays. Pour rappel, selon la court des comptes, le CICE, qui coute 20 Md€ par an, n’aura permis de sauvegarder que 4 emplois par million d’euro annuel investi par l’Etat. L’efficacité spécifique de l’industrie de Défense dans le domaine de l’emploi est liée à plusieurs facteurs :

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  • La faible exposition aux importations dans le réseau de sous-traitance, même si des progrès sont à faire dans ce domaine
  • La dimension industrielle de l’investissement, agissant avec un coefficient multiplicateur récursif économique plus important que les investissements dans la consommation ou le pouvoir d’achat par exemple. Ainsi, 1 million d’euro investi dans le pouvoir d’achat ne sécurise l’emploi que de 8 personne en France, du fait de l’importance des produits importés dans la consommation des ménages, de la captation des produits financiers, et de l’épargne.
  • La dimension technologique de l’investissement, agissant sur les grappes technologiques au niveau des entreprises, de l’économie locale et nationale.
  • L’Etat est légitime pour investir dans l’industrie de Défense, et peut faire valoir des clauses de sécurité nationale pour privilégier des entreprises nationales dans ses programmes d’équipements, alors qu’il ne peut le faire pour d’autres types d’investissement eu égard aux règles européennes.

1 m€ dans l’industrie de Défense génèrent 22 emplois en France

De fait, avec 22 emplois créés et consolidés par m€ investi par an, l’industrie de Défense est l’investissement le plus performant de l’Etat en matière d’emploi aujourd’hui.

Char Leclerc francais en manoeuvre Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | Exportations d'armes
Avec seulement 200 chars Leclerc modernisés, l’Armée de terre française disposera de moins de chars de combat qu’une seule division blindée russe

2- Le retour social et fiscal des emplois créés

Chaque emploi créé par l’investissement dans l’industrie de Défense va générer des recettes sociales et fiscales. En moyenne, les prélèvements sociaux et fiscaux représentent 46% de la masse salariale de l’entreprise. En prenant comme base de calcul les 50.000 € par an par salarié de masse salariale, les prélèvements sociaux représentent 23.000 € par an. En outre, un salarié percevant un salaire annuel net de 27.000 € va payer 6000 € de taxes et impôts, que ce soit la TVA, la taxe audiovisuelle et l’impôt sur le revenu. Or, l’Etat aujourd’hui compense les déficits sociaux pour prés de 10 Md€ par an, les organismes sociaux n’ayant pas statutairement le droit de faire de la dette. De fait, les recettes sociales générées impactent directement les déficits sociaux, mais également le déficit public.

1 emploi génère 23.000 € / an de recettes sociales

1 emploi génère 29.000 € / an de recettes fiscales et budgétaires

En outre, ces emplois créés sortent naturellement du circuit des demandeurs d’emploi, indemnisés ou non. En France, un demandeur d’emploi indemnisé perçoit en moyenne 15.000 € par an d’indemnisations (1250 € par mois). Les demandeurs d’emploi coutent, eux, en moyenne, 3.000 € par an en mesures d’accompagnement et de formation, et 5.000 € par an d’indemnités sociales, comme le RSA. Nous prendrons dans cette étude le postulat de 50% des emplois créés alimentés par des chômeurs indemnisés, et 50% par des chercheurs d’emplois non indemnisés. De fait, en moyenne, chaque emploi va générer une économie de :

Economies sociales et budgétaires par emploi = ((15.000+3.000)+(5000+3000))/2 = 13.000 € / an

De fait, chaque emploi va générer, à terme, les recettes suivantes :

1 emploi génère 36.000 € de recettes et économies sociales

1 emploi génère 42.000 € de recettes et économies budgétaires.

3- Le retour social et fiscal direct de l’investissement dans l’industrie de Défense

Il ne reste plus dans notre démonstration qu’à évaluer les retours budgétaires et sociaux que généreront les 22 emplois directs, indirects et induits créés. Ainsi, 1 million d’euro investi dans l’industrie de défense par an génèrent et sécurisent 22 emplois, 792.000 € de recettes et économies sociales, et 924.000 € de recettes et économies budgétaires.

Efficacité de l’investissement de l’industrie de Défense
22 emplois / m€ / an
79,2% de retour social
92,4% de retour budgétaire

Il s’agit là de valeurs planchées, inférieures aux valeurs constatées lors des études terrains. Toutefois, elles permettent de porter un regard très différent sur les effets d’éviction que l’on attribue volontiers à l’investissement dans l’industrie de Défense.

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L’Aviation légère de l’Armée de Terre est contrainte de conserver ses gazelles en service jusqu’en 2030, alors que ces appareils sont aujourd’hui très vulnérables aux systèmes anti-aériens modernes

4- Intégration des exportations

En moyenne, les exportations représentent 40% du Chiffre d’Affaires de la BITD française. Une partie de ce chiffre d’affaires est toutefois réalisé à l’étranger, et nous prendrons, dans cette analyse, une valeur planchée de 25% réalisée en France. L’augmentation des investissements de Défense « domestiques » augmentent mécaniquement l’attractivité de la BITD française sur les marchés internationaux. En outre, une fois admis que le retour budgétaire d’un investissement dans l’industrie de Défense était supérieur à 90% lorsque réalisé en France, il est possible d’imaginer des mécanismes d’abondements de l’Etat vis-à-vis des commandes de clients étrangers à la BITD française lorsque celles-ci sont réalisées en France.

Quoiqu’il en soit, sur la base de 25% du CA de la BITD constitués de commandes destinées à l’exportation et réalisées en France, l’efficacité de l’investissement dans l’économie de Défense peut être corrigé d’un facteur de 75%/25% soit 33%. Dès lors, les valeurs de calcul deviennent comme ci-dessous

Efficacité de l’investissement de l’industrie de Défense
29 emplois / m€ / an
105,6% de retour social
123,2% de retour budgétaire

Conclusion

On le comprend, l’efficacité de l’investissement dans l’industrie de Défense en France est exceptionnel, surtout dans les conditions actuelles de chômage et de déficits publics et sociaux. Non seulement n’entrainent-t-ils aucun effet d’éviction, puisqu’ils sont budgétairement supérieurs à 100%, mais ils agissent simultanément sur les déficits publics et sociaux. Ainsi, en augmentant les crédits d’équipements des armées françaises de 15 Md€, l’état créerait plus de 430.000 emplois, dont 125.000 dans la BITD, générerait un boni budgétaire de 3,5 Md€, et solutionnerait intégralement le problème des déficits sociaux, sans qu’il soit nécessaire de baisser les pensions de retraite, les indemnités chômage, ou d’augmenter la fiscalité. Il serait même possible de réduire les prélèvements sociaux de 5 Md€ en France, de sorte à dynamiser la croissance.

Il faut toutefois prendre quelques réserves vis-à-vis de cette démonstration. Ainsi, les retours budgétaires et sociaux, comme les emplois créés, ne sont pas instantanés, et s’étalent sur 5 à 7 ans. Il faut donc, pour accompagner cette progression sans peser sur les deniers publics, prévoir une mesure de financement innovante pour porter en partie l’investissement de la phase initiale. La Défense à Valorisation Positive propose l’utilisation de Sociétés de Programme, sociétés d’économie mixte portant le financement du programme entre le versement de l’acompte et la livraison de l’équipement aux armées.
En outre, l’efficacité à l’exportation se doit d’être garantie en volume par une mesure d’accompagnement, présentée sous la forme d’un abondement de l’Etat aux commandes de ses partenaires, calculée sur la base du retour budgétaire enregistré. Cette approche permettrait de faire de la faiblesse française, à savoir sa pression fiscale, un atout puissant sur la scène internationale, sans que cela n’engage des crédits budgétaires de l’Etat, puisqu’auto-généré par le retour budgétaire.

Un E2 C Hawkeye pret a etre catapulter sur le pont du Porte avions nucleaire francais Charles de Gaulle Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | Exportations d'armes
Avec un unique porte-avions, la Marine nationale ne peut assurer de permanence du groupe Aéronavale, pourtant parti intégrante de la dissuasion

En outre, la démonstration faite ici est faite « à minima », et il serait possible d’en améliorer sensiblement les résultats. Ainsi, en privilégiant l’embauche de chômeurs indemnisés, on augmente directement l’efficacité sociale et fiscale de l’investissement. D’autre part, en privilégiant la sous-traitance nationale, et par des mesures de redéploiement industriel adossées à un plan d’aménagement du territoire, on augmenterait le nombre d’emplois indirects et induits créés, ainsi que l’efficacité financière des investissements. Enfin, en intégrant la planification industrielle de Défense dans un cycle long, de 20 ou 25 ans, on augmenterait très sensiblement l’efficacité industrielle de la BITD, sur le plan national comme international, avec à la clé une productivité renforcée, et une attractivité à l’exportation étendue. Ces mesures sont intégrées dans le programme Socle Défense. A noter que l’efficacité de l’investissement diminue au delà de 15 Md€, du fait du marché export adressable, de la disparition des déficits sociaux, et de la baisse du chômage. Le modèle n’est donc pas universel, mais contextuel, et limité en volume.

Enfin, cette approche s’applique à la France, ainsi qu’à de nombreux pays européens. Mais la France est le seul pays en Europe à disposer d’une BITD globale capable de produire l’ensemble des équipements nécessaires pour ses forces armées, à quelques exceptions prés. Cette constatation a mené beaucoup de pays à vouloir developper leur propre BITD, espérant ainsi maximiser l’impact budgétaire et social de l’investissement industriel de Défense. En procédant ainsi, le marché des exportations accessibles se réduit, alors que le nombre d’acteurs présent sur ce segment augmente, engendrant un déséquilibre fort entre une offre pléthorique et une demande réduite. Dès lors, seules les BITD pouvant subsister sur la seule consommation domestique pourront dépasser la crise qui se profile dans les années à venir sur le marché mondial de l’Armement, crise amplifiée par l’arrivée de gros acteurs comme la Chine. Avec une exposition aux exportations de 40% aujourd’hui, la BITD française est évidemment menacée, et l’approche Défense à Valorisation Positive permettrait de ramener cette exposition à 25%, tout en accompagnant les pays partenaires par un abondement budgétaire de l’Etat français pour ne pas multiplier les acteurs industriels.

Alors que les Armées françaises sont exposées à des déficits d’équipements modernes importants et à un problème de format, il serait possible de concevoir un Plan d’Investissement National Défense qui apporterait des réponses aux problématiques opérationnelles, ainsi qu’aux déficits sociaux et budgétaires, en créant un nombre conséquent d’emplois. Organisé dans un programme comme le Socle Défense, ce Plan pourrait servir de base à une relance industrielle organisée autour de la BITD, au profit de la sécurité du pays, de ses soldats, et de ses alliés, sans nécessiter de mesures budgétaires comme l’augmentation temporaire des déficits, l’augmentation des prélèvements, ou la baisse des pensions, retraites et indemnités. Ainsi, si la France venait à effectivement résoudre ses problèmes de déficits sociaux en réduisant son chômage à 6,5% tout en baissant les prélèvements sociaux, et ce en respectant la règle des 3% de déficits publics, en appliquant une augmentation de 15 Md€ des crédits d’équipements des armées, le pays bénéficierait d’une attractivité industrielle très importante, entrainant probablement des investissements supplémentaires venus de l’étranger, ainsi que des investissements domestiques liés à une confiance accrue des chefs d’entreprise et des investisseurs, et des conditions de crédits plus souples liées aux conditions économiques favorables. L’ensemble de ces facteurs contribuerait à créer, en quelques années, une forte croissance induite, consécutive de l’investissement dans la BITD, mais ne portant pas sur le secteur Défense, générant des emplois et des recettes supplémentaires.

Il est temps, en France, de changer de regard sur l’investissement dans l’industrie de Défense, et de faire de la BITD un atout économique et social pour le pays, tout en répondant aux besoins des armées françaises et européennes. Il ne manque, aujourd’hui, que la volonté politique de le faire …

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