jeudi, mars 28, 2024

L’aéronavale américaine s’affirme dans la « guerre-élec »

L’US Navy dote ses aéronefs de guerre électronique EA-18 Growler d’un pod de nouvelle génération NGJ-MB. Fournis par le groupe Raytheon, les pods sont en phase d’essais opérationnels. Cette acquisition témoigne de la montée en puissance de la Navy afin d’appréhender la non-permissivité de ses probables futurs théâtres d’opération

De la permissivité à la contestation radicale des espaces.

La fin de la guerre froide accoucha d’un contexte géostratégique mondial éclaté, instable et crisogène. Pour faire face aux enjeux déduits, les armées occidentales, et notamment l’armée américaine, changèrent leurs paradigmes d’emploi. D’engagements massifs et blindés en Atlantique et Europe centrale, la conception d’emploi des forces armées glissât vers la projection de puissance (groupe aéronavals, bombardiers stratégiques…) et de force (unités au sol et leurs soutiens…)  dans une logique expéditionnaire,  à n’importe quel endroit du globe. Cette évolution se corréla à une très nette avance technologique sur l’ensemble du spectre capacitaire, notamment dans les systèmes d’informations (NTIC[efn_note]Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication[/efn_note]) ;  laquelle déboucha sur une Révolution dans les Affaires Militaires (RMA) qui donnât leur forme actuelle au renseignement militaire et à la conduite des conflits, de l’échelon stratégique à l’échelon tactique : se matérialisant dans les systèmes C4ISR[efn_note]Commandement, Contrôle, Communication, Computer, Intelligence, Surveillance, Renseignement[/efn_note]. Cette conception de la guerre réseau-centrée couplée à une logique expéditionnaire assura aux armées occidentale, tirées par l’armée américaine, une supériorité militaire décisive lui permettant d’intervenir dans le cadre d’opérations sur théâtres permissifs et semi-permissifs. C’est-à-dire avec une intensité conflictuelle de négligeable à faible : guérilla, terrorisme, unités constituées de valeur médiocre… . Elle est accompagnée d’une contestation nulle, ou peu disputée, dans la troisième dimension : capacités anti-aériennes faibles à nulles, peu ou pas d’aéronefs de défense aérienne. Les cas de la 2nde et 3éme guerre du Golfe (1991 et 2003), du Kosovo (1999), de l’Afghanistan (2002), de la Lybie (2011) et du Mali (2013), sont les plus emblématiques.

Growler Kosovo Analyses Défense | Communication et Réseaux Défense | Conflit Syrien
Les Prowler EA6 de l’US Navy assurèrent l’essentiel des missions de Brouillage lors de la guerre du Kosovo. Ici 2 Growler décollent de la base OTAN d’Aviano en Italie

Or le retour en force stratégique de la Russie (Syrie 2014), le réarmement massif et rapide et de la Chine, et partant, de leur capacités à armer leur partenaires (Iran…) tend à faire changer la donne. Leur montée en puissance se traduit, outre la dotation de systèmes C4ISR, de sérieuses capacités  A2/AD (Anti-Accès/Aerial Denial).  Ces capacités sont en mesure d’interdire, ou rendre périlleux, l’accès d’une force expéditionnaire et sa logistique sur un théâtre d’opération donné en menaçant cette dernière sur de longues distances (missiles antinavires, capacités maritimes renforcées,  défense anti-aérienne  de longue portée…). Elles limitent également la liberté d’action une fois la dite force déployée (grandes unités au sol, missiles sol-air performants, systèmes de détection, capacités de guerre électronique, cyberattaques, soutien et défense aérienne moderne …). Le tout est intégré au sein de systèmes de commandement et de contrôle intégrés. Ce type de théâtre d’opération est considéré comme « non-permissif »[efn_note]On notera que le spectre de la non-permissivité tel que présenté n’est pas  est évolutif et susceptible de varier en fonction d’un théâtre allant de systèmes d’interdictions rustiques à très avancé technologiquement, impliquant des dimensionnement expéditionnaires différents.[/efn_note].

La question de la guerre électronique dans la 3éme dimension

La guerre électronique concerne le ROEM (renseignement d’origine électromagnétique). Il concerne la détection des signaux électromagnétiques (radars de détection et de défense anti-aérienne, plateforme aérienne, maritime ou terrestre…), l’écoute des communications, et le cas échéant leur brouillage, voire leur intoxication. C’est par exemple le rôle de l’EC-130 dans l’armée américaine. La guerre électronique comporte également une composante offensive : dégradation ou destruction des moyens de communication et de détection, brouillage offensif, destruction des radars au sol voire de satellites de ROEM… .

Ces capacités sont fondamentales dans le cadre d’un environnement non-permissif et notamment dans le cadre des missions SEAD (Supression Ennemy Air Defense) et par voie de conséquence de la supériorité aérienne. Garantir cette dernière est vital dans l’entrée  puis la maitrise d’un théâtre d’opération contesté. En effet la troisième dimension est la porteuse privilégiée des moyens ISR de théâtre ; s’intégrant dans un système C4ISTAR[efn_note]Systèmes ISR intégrant les paramètres de Targeting (ciblage dynamique en temps réel) et d’Asses (évaluation des effets des frappes. C’est une dynamisation de la boucle OODA permise entre autres par les orbites de drones de combat[/efn_note], elle est vitale dans la circulation en temps réel de l’information entre tous les acteurs du théâtre et la maitrise du tempo des opérations via la boucle décisionnelle OODA (Observation, Orientation, Décision, Action). Par ailleurs la destruction des moyens de détection anti-aérienne, des batteries de missiles sol-air via les missions SEAD permettent à la 3ème dimension de garantir la liberté d’action des forces terrestres et maritimes : aveuglement électromagnétique de l’adversaire,  privation des communications,  appui au sol (CAS : « Close Air Support »), destruction des aérodromes hostiles et  prévention d’éventuels raids aérien. Cette manœuvre interarmes permet alors, via la 1ére dimension, de prendre et tenir le terrain, de la tête de pont au contrôle des emprises vitales aboutissant alors à l’EFR (Effet Final Recherché). Elle garantit par ailleurs la sécurité de la logistique maritime et aérienne incrémentant les forces présentes sur le théâtre.

EA18 Growler Harm Analyses Défense | Communication et Réseaux Défense | Conflit Syrien
Le couple EA18 Growler – AGM88 Harm est aujourd’hui une des solutions les plus efficaces de l’OTAN pour les missions SEAD

Les missions de guerre électronique, dont les missions SEAD, sont du ressort des capacités de l’EA-18 Growler et de son nouveau pod NGJ-MB. Combiné aux autres senseurs de l’aéronef, son utilité se manifestera sur une large partie du spectre d’emploi de l’aéronef : dégradation des radars hostiles et des émetteurs de communication, soutien des missions de frappe en profondeur,  brouillage offensif, soutien de la guerre maritime, soutien au combat rapproché, opérations d’interdiction et escorte pénétrante. Le Growler est par ailleurs munis de missiles antiradars AGM-88HARM, son armement de prédilection. Dès lors l’EA-18 Growler sera en mesure de poursuivre ses missions SEAD tout en affirmant son soutien aux forces via la détection et le brouillage offensif. Cette amélioration des capacités du Growler n’a rien d’anodin. Elle matérialise la conscience américaine de son nouvel environnement stratégique. Et sa volonté de conserver son avantage opérationnel. C’est un signal supplémentaire envoyé à ses rivaux Chinois, Russes et Iraniens.

Armée Française : quelles capacités sur le spectre ?

La conception de la projection de force et de puissance de l’armée française se nomme l’ « Entrée en Premier ». C’est-à-dire la capacité à se projeter en autonomie (opération Serval puis Barkhane en 2013) ou en tant que « nation-cadre » (opération Harmattan en 2011) sur un théâtre d’opération permissif ou semi-permissif. Si elle maitrise l’ensemble du spectre capacitaire, elle manque toutefois de moyens dans la profondeur du spectre (quantités), ce qui limite très sérieusement ses capacités à intervenir seule sur un théâtre non permissif[efn_note]Techniquement et numériquement, seul les Etats-Unis en sont vraisemblablement capables.[/efn_note], et donc dans le cadre d’un conflit de haute intensité. Elle demeure toutefois au sein du club très resserré des nations maitrisant ces capacités d’utilités stratégique.

Spectra Rafale Analyses Défense | Communication et Réseaux Défense | Conflit Syrien
Le système de défense électronique SPECTRA du Rafale constitue aujourd’hui la seule protection dont dispose les appareils français pour contrer les systèmes anti-aériens évolués.

Sur la question de la guerre électronique, la France connait une montée en puissance souffrant toutefois de quelques manques. Ses capacités de ROEM dans la 3eme dimension sont assurées par deux  C-160 Gabriel (écoutes des communications, détections des signaux électromagnétiques…) qui seront bientôt remplacés par trois Falcon 8X. On peut éventuellement citer les capacités d’écoutes des Atlantique II, avions de surveillance maritime également compétents en milieu désertique. Concernant la composante spatiale, les capacités de la France seront largement améliorées par la constellation de satellites CERES. Toutefois le bât blesse au niveau de la guerre électronique aux échelons tactiques. Depuis la sortie de service, en 1999, des Jaguars et des missiles antiradars AS-37 Martel, la France a largement perdus en capacités de brouillage offensif mais aussi de capacités SEAD. Des solutions dégradées  restent possible, toutefois elles seront insuffisantes pour la sauvegarde de la liberté d’action dans la 3eme dimension sur un théâtre non permissif. L’armée de l’air privilégie plus la survavibilité avec le Système de Protection et d’Evitement des Conduites de Tir (SPECTRA) de Thalès qui équipe les Rafales. Ce système a de bonnes performances de brouillage défensif, de leurres et de détection mais certains le pensent insuffisant face à des systèmes de nouvelle génération plus robustes tel le S-400 Russe. Il demeure insuffisant dans le cadre de la pénétration d’un théâtre marqué par de fortes capacités globales A2/AD.


Pierre D’Herbes – Analyse guerre électronique

- Publicité -

Pour Aller plus loin

RESEAUX SOCIAUX

Derniers Articles