jeudi, mars 28, 2024

L’avenir du porte-avions ne doit pas être menacé par une analyse des risques erronée

Dans un article publié aujourd’hui, Laurent Lagneau titre « Les armes hypersoniques rendent-elles le porte-avions obsolètes« , un argument largement avancé par l’US Air Force, comme par beaucoup de hauts gradés de l’Armée de l’Air française, pour mettre fins aux investissements vers ces puissants navires. La démonstration, qu’elle soit faite par un sénateur américain, ou un général d’aviation, est toujours la même : face aux armes hypersoniques, le porte-avions est vulnérable, et peu couler. En tant qu’un ancien marin, qui plus est pilote de l’aéronautique navale, il semble naturel que mon analyse du sujet diverge des conclusions radicales du sénateur Angus King.

En premier lieu, il est évident que les armes anti-navires hypersoniques, comme le futur Tzirkon russe, feront peser une menace réelle sur l’ensemble des navires militaires, et plus particulièrement sur les Capital Ships que sont les porte-avions, les bâtiments logistiques, les unités de renseignement, et les navires d’assaut. Mais pas plus que l’apparition du missile anti-aérien n’a éliminé l’intérêt des forces armées pour l’aviation, l’existence d’une menace n’élimine pas l’intérêt du porte-avions, qui reste, dans bien des cas, une solution offrant des options uniques pour la projection de puissance. En outre, la menace créée par les nouveaux missiles, et pas uniquement les missiles hypersoniques, touche l’ensemble du spectre militaire de l’OTAN. Raisonner ainsi viendrait à supprimer les postes de commandement, les noeuds ferroviaires, les bases aériennes, autant de cibles de choix, qui plus est immobiles, pour le Kinjhal, le Novator ou le DF-26.

DF26 missile Analyses Défense | Armes et missiles hypersoniques | Canon électrique Railgun
Le missile balistique DF-26 est présenté comme étant capable de viser un navire majeur comme un porte-avions

En revanche, il semble acquis que, désormais, les porte-avions, comme l’ensemble des navires constituant un groupe de combat, seront appelés à évoluer à des distances bien supérieures de leurs cibles que ce ne fut le cas précédemment, du moins tant que la menace des missiles anti-navires ne sera pas éliminée. Durant l’intervention en Libye, le BPC français naviguait juste sous l’horizon, de sorte à rester indétectable aux radars et guetteurs libyens, soit à une cinquantaine de kilomètre des cotes libyennes. Dans le futur, es bâtiments devront évidemment naviguer à des distances bien supérieures, derrière un rideau défensif empêchant toute localisation par drones, sous-marins, aéronefs ou même barques de pêcheurs. De fait, les aéronefs embarqués devront disposer d’un rayon d’action supérieur, ainsi que de capacités d’accompagnement et de soutien, en matière de ravitaillement comme de moyens de détection avancés.

Mais c’est avant tout les doctrines d’utilisation du porte-avions qui sont appelées à évoluer, du fait de l’apparition de ces systèmes anti-navires performants. Jusqu’ici, le porte-avions, comme l’ensemble de l’arme aérienne, était considéré comme une arme de première frappe, celle qui ‘ »entrait en premier » sur le territoire adverse. Or, dans le domaine anti-aérien également, les progrès réalisés en matière de système défensif ont profondément modifié les paradigmes. Plus question désormais d’envoyer des appareils en première frappe sans avoir précédemment éliminé les défenses anti-aériennes adverses. Or, les missiles de croisière, à qui revenaient traditionnellement cette mission, sont désormais aussi vulnérables que les aéronefs aux systèmes modernes, réduisant leur efficacité potentielle face à un adversaire lourdement armé. Quand à la solution reposant sur l’utilisation d’avions furtifs, elle semble de plus en plus compromise avec l’entrée en service de radars à basse fréquence ou passif, peu sensibles à la furtivité des avions de 5ème génération comme le F22 ou du F35.

Lanceurs du systeme S400 des forces de defense anti aeriennes russes Analyses Défense | Armes et missiles hypersoniques | Canon électrique Railgun
Le système S400 représente une menace très sérieuse pour la puissance aérienne de l’OTAN

Dès lors, ce n’est pas le porte-avions en tant que navire qui semble menacé, mais bien la stratégie aérienne dans son ensemble. L’OTAN en est d’ailleurs parfaitement consciente, puisqu’elle considère depuis peu, qu’elle pourrait ne pas être en mesure d’atteindre la suprématie aérienne durant les premiers jours d’un conflit face à la Russie, le cas échéant. Que ce soit pour protéger les portes-avions, les bases aériennes, et les aéronefs eux-même, il devient dès lors nécessaire de developper de nouveaux systèmes capables de frapper les batteries anti-aériennes, anti-navires et les sites de lancement de missiles balistiques, de sorte à permettre le déploiement de la puissance aérienne occidentale qui, rappelons le, constitue aujourd’hui l’essentiel de sa puissance de feu, tout en développant des systèmes pour protéger les sites et navires stratégiques contre la nouvelle menace. Ce qui, d’ailleurs, n’a pas échappé au président russe, qui a lancé il y a quelques mois le developpement de systèmes pour contrer les armes hypersoniques.

Une des solutions, déjà abordée sur Meta-Défense, serait de construire à nouveau des bâtiments de ligne capables de porter le feu chez l’adversaire tout en assurant sa propre défense, avec de nombreux moyens pour éliminer les menaces adverses. En d’autres termes, des croiseurs. Emportant de un grand nombre missiles de différents types, équipés de systèmes de défense à énergie dirigée ainsi que de Rail Guns, conçu pour encaisser les coups et disposant de puissants systèmes de guerre électronique et cyber, le croiseur pourrait représenter le parfait complément du porte-avions, en effectuant, avec les sous-marins, la première frappe nécessaire pour permettre la mise en oeuvre de la puissance aérienne. A ce titre, les Type 055 chinois, avec leurs 112 VLS et leur capacité de production énergétique de 130 MW, sont conçus pour emporter, dès que disponible, le Rail Gun en cours de developpement, et les systèmes de protection laser à haute énergie. Ils constitueront alors simultanément d’excellents escorteurs pour les porte-avions et LHD chinois, et un outil de suppression des défenses redoutable.

Type 055 Analyses Défense | Armes et missiles hypersoniques | Canon électrique Railgun
Les croiseurs chinois Type 055 constituent une excellente plate-forme pour intégrer les systèmes d’arme énergétiques comme les laser à haute énergie et le Rail Gun

La question de savoir si tel ou tel missile rendrait le porte-avions obsolète est évidemment éminemment politique, et résulte avant tout d’une guerre de périmètre que se livrent souvent les armées, arcboutées sur leurs prérogatives et leurs budgets. Le prix du porte-avions ne change rien à l’affaire, et pas plus que le Milan et le Sagger n’ont signé l’arrêt de mort des chars de combat, ou que le SA2 n’a signé la mise au rebut des bombardiers, le Tzirkon ou le DF26 ne doivent certainement être présentés comme des armes miracles pour argumenter de l’élimination des porte-avions. En revanche, les évolutions technologiques en cours doivent entrainer une adaptation des doctrines d’emploi, comme des moyens et des plans de developpement, pour retrouver rapidement la capacité à exploiter à nouveau la puissance aérienne de façon étendue, qu’elle soit, ou non, mise en oeuvre à partir d’un porte-avion. C’est évidemment plus difficile que de jeter l’opprobre sur un type de bâtiment …

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