La crise des effectifs dans les armées est-elle inéluctable ?

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Dès lors que l’on traite d’une variation envisagée du format des armées, les difficultés de recrutement apparaissent comme une barrière infranchissable, condamnant toute initiative en ce sens. Il est, dès lors, nécessaire d’analyser les causes de ce problème qui touche de nombreuses armées occidentales, afin d’en déterminer de possibles solutions.

Que ce soit aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, ou en France, toutes les armées occidentales déclarent aujourd’hui avoir de grandes difficultés pour atteindre leurs objectifs en matière de ressources humaines. D’une part, le nombre de candidats ayant le profil et les compétences recherchés ne cesse de diminuer, hormis à l’occasion d’événements exceptionnels comme les attentats de 2015 en France. D’autre part, le taux de non-renouvellement en fin de contrat d’engagement reste très élevé, et ce quelque soit les armées. Alors qu’il apparait de plus en plus indispensable d’augmenter les effectifs à moyen terme pour être en mesure de répondre aux enjeux sécuritaires qui se profilent, l’exercice semble extrêmement contraint par les difficultés que rencontrent aujourd’hui les armées pour maintenir les effectifs du moment pourtant numériquement dépréciés. Comment expliquer cette situation, et est-il possible d’y remédier, en France tout du moins ?

Des causes systémiques et conjoncturelles

Bien souvent, lorsque l’on aborde le problème du maintien ou de l’extension des effectifs dans les armées, un coupable est rapidement désigné : le jeune d’aujourd’hui. Non seulement est-il présenté comme peu intéressé par les questions de Défense et de souveraineté, mais il est également affublé de nombreuses tares, allant du manque de détermination au manque d’engagement. Cependant, en étudiant de plus prêt les chiffres, il apparait que les armées françaises ont aujourd’hui des effectifs professionnels assez proches de ceux des armées en 1989, alors que la conscription représentait 55% des 560.000 hommes des forces armées.

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En revanche, le niveau scolaire des personnels lors de l’engagement a, lui, largement évolué. En 1989, la majorité des officiers sous-contrat avait un niveau Bac à Bac+2, alors qu’ils ont aujourd’hui entre bac+3 et bac+5. Les recrutements en amont du Baccalauréat sont devenus très minoritaires, avec l’augmentation de la technicité des forces et des missions. Ceci entraine un vieillissement moyen des effectifs ayant plusieurs conséquences, la première étant la diminution de la période de célibat sur la durée de l’engagement. Entre 23 et 26 ans, les chances qu’un ou une candidat(e) soit en couple, et donc moins enclin à des mutations diagonales, sont plus importantes que pour un candidat de 18 à 20 ans. Or, les contraintes de la vie militaire, surtout lorsque la pression opérationnelle est importante, se confrontent souvent à celles de la vie de famille. Dans ce cas, c’est l’augmentation des critères de recrutement, et non la qualité des candidats, qui agit comme facteur limitant.

campagne de recrutement 1999 2001 Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
Depuis une vingtaine d’année, les armées françaises ont fait preuve de créativité et d’inspiration dans leurs campagnes de recrutement

A ce facteur systémique s’ajoute un facteur sociétal et conjoncturel, lié à la profession du conjoint. Dans les années 80, le conjoint d’un militaire engagé, soit acceptait de se consacrer exclusivement à sa famille, soit se spécialisait dans des emplois sous forte tensions, permettant de rapidement trouver un emploi après une mutation. Mais en 2020, ces options ne peuvent plus s’appliquer majoritairement, provoquant des tensions dans le couple, ou des tensions avec la hiérarchie.

Par ailleurs, la formation technique des militaires a pris une grande valeur sur le marché de l’emploi civil, d’autant que les domaines caractéristiques des forces armées, comme l’aéronautique, l’entretien mécanique et naval, l’électronique embarquée, sont des secteurs professionnels en tension, les entreprises étant prêtes à proposer des salaires et conditions attractives aux militaires qui les rejoindraient.

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Enfin, il ne faut pas négliger une sensation avérée de démoralisation dans les armées, qui était très sensible jusqu’il y a encore peu. Les militaires voyaient les moyens qui leurs étaient alloués se réduire comme glace au soleil, alors que la pression opérationnelle, elle, ne diminuait pas. Ceci entrainait, et entraine toujours, une sur-consommation des moyens techniques et humains, entamant gravement le moral des personnels et de leurs encadrants. Le respect, jusqu’à présent, de la trajectoire de la LPM, semble palier, du moins partiellement, ce dernier problème. Rappelons tout de même que pendant de nombreuses années, le budget de La Défense était élaboré en intégrant des notions de « Recettes exceptionnelles », c’est à dire en liant l’exécution budgétaire à des recettes programmées issues de ventes d’actifs de l’Etat, ventes qui bien souvent, rapportaient bien moins que ce qui était planifié, entrainant reports et annulations de programmes d’infrastructure et d’équipements, ce qui altérait directement le moral des effectifs.

La création d’un cercle vicieux

Il apparait dés lors que les armées faisaient face à une problématique majeure, avec d’un coté des besoins en terme de formation de plus en plus importants, de l’autre de grandes difficultés pour maintenir les effectifs une fois formés. La décision fut donc prise d’augmenter les critères de recrutement, de sorte à diminuer l’effort de formation interne, ainsi que le risque y attenant, afin de profiter d’une période d’activité plus étendue lors de l’engagement. Ce faisant, cela augmentait mécaniquement l’âge moyen des candidats, avec les conséquences abordées précédemment, auxquelles s’ajoutent des aspirations professionnelles bien naturelles pour un candidat qui, avec un Bac+3 ou Bac+5, n’a pas pour ambition d’être sous-officier ou officier marinier au delà de quelques années.

La fregate 22Languedoc22 une des 6 fregates de 1er Rang FREMM Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
Les frégates FREMM ont un équipage presque réduit de moitié vis-à-vis des frégates F70 Georges Leygues qu’elles remplacent

Parallèlement, les tensions sur les effectifs incitèrent militaires et industriels à privilégier les approches très économes dans ce domaine. C’est ainsi que, par exemple, les frégates FREMM furent conçues pour un équipage de 104 marins, plus tard ramené à 130, alors que les frégates F70 en embarquent plus de 230. Or, cette réduction drastique des effectifs embarqués se fait au prix de l’augmentation de la technicité des postes et de la pression opérationnelle, ce qui, là encore, créé un pré-requis plus-élevé sur le profil à l’entrée dans la Marine Nationale, et affecte le moral des engagés du fait de l’épuisement. Conjointement, ces facteurs ont créé le cercle vicieux qui aujourd’hui touche la majorité des armées occidentales.

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Peut-on briser le cercle vicieux et créer un cercle RH vertueux ?

Une fois le problème posé dans sa complexité, il apparait que ses points d’actions existent pour les armées, comme l’augmentation de l’effort de formation interne pour diminuer l’âge moyen de recrutement, ou l’augmentation de l’effort d’équipement et de modernisation des infrastructures pour réduire les effets sur le moral, ainsi que la prise en compte de l’attachement local des personnels. Avant toute chose, il conviendrait surtout de changer de paradigmes conceptuels, pour concevoir différemment le modèle de construction RH des armées, voir d’imaginer des trajectoires personnelles dans les armées différentes de celles que nous avons connu depuis des dizaines années, en basant, par exemple, l’essentiel de l’effort sur des carrières courtes de 5 à 8 ans, même pour les postes hautement techniques. Ainsi, la problématique évoluerait vers d’une part l’extension de l’assiette de recrutement initiale, d’autre part vers le renouvellement des contrats selon les objectifs d’encadrement, sans systématisme aucun.

Dans ce domaine, le modèle stratégique global « Socle Défense » apporte une approche innovante basée sur la doctrine économique « Défense à valorisation Positive ». Grace au financement de bourses d’étude attractives, comparables à celles qui financent aujourd’hui les frais de scolarité des élèves de corniche (classes préparatoires préparant aux concours des grandes écoles militaires en internat sous encadrement militaire), et compensées par une durée d’engagement avec un ratio de 1 an de bourse = 2 ans de service, il devient possible de maintenir le haut niveau de recrutement tout en étendant largement son assiette. En outre, une partie des crédits consacrés aux infrastructures dans le modèle serait dédiée à la construction de « zone vie », à l’image des zones vies jouxtant les bases américaines, et offrant des logements de qualité à loyers modérés aux militaires et leur famille.

L’ensemble est intégré dans un cycle global, basé sur les retours budgétaires sociaux et fiscaux de l’investissement de Défense, permettant d’augmenter les moyens d’équipements et de fonctionnement des armées, sans impacter le déficit public du budget de l’état de façon négative, au contraire. Ainsi, pour une assiette de dépense modélisée de 15 Md€ dans l’industrie de Défense chaque année, le modèle permet de financer le financement de 5800 bourses de 3 ans par an pour les profils Bac+1/+5, ce qui sécurise le recrutement d’autant de personnels pour un contrat minimum de 6 ans, tout en construisant chaque année 2000 logements pour les militaires. Le Schéma ci-dessous présente les grandes lignes du modèle, qui donnera lieu à des articles dédiés.

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Modèle de flux budgétaires du Socle Défense sur l’Hypothèse d’un budget équipement de +15 Md€.

Quoiqu’il en soit, pour la problématique RH comme pour celles liées au financement des équipements ou de la maintenance, la solution ne pourra venir qu’au travers d’une évolution conceptuelle majeure de la planification RH et de la trajectoire militaire, de sorte à amener la carrière militaire dans un cadre compatible avec les contraintes auxquels font face les jeunes français aujourd’hui.

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