Quel serait le format nécessaire et suffisant de la Marine Nationale ?

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Il n’est pas difficile de pointer du doigt des déficits opérationnels, et de demander plus de moyens. Toutefois, une approche raisonnée permet, de façon objective, de déterminer la nature de ces déficits, ainsi que d’évaluer les montants nécessaires pour un format des armées cohérent avec leur emploi opérationnel et les menaces auxquelles elles devront faire face, afin d’en évaluer la soutenabilité pour le budget de l’Etat. C’est l’objectif de cet article.

La Marine nationale est aujourd’hui en plein renouveau, avec l’entrée en service des frégates FREMM, la construction de 2 frégates anti-aériennes de la classe Alsace, le developpement des FDI, des Pétrolier Ravitailleurs Volcano, et le lancement du Suffren, premier représentant de la classe éponyme de 6 sous-marins nucléaires d’attaque de nouvelle génération. En 2030, conformément aux objectifs du Livre Blanc sur la Sécurité et La Défense Nationale de 2013, la Marine Nationale disposera de 4 SNLE, 6 SNA de dernière génération, 1 Porte-avions nucléaire, 3 LHD Mistral, 15 frégates de 1er rang, 6 frégates de surveillance outre-mer, et 4 pétroliers ravitailleurs, pour ne parler que des moyens hauturiers. Ce format est-il suffisant pour assurer les missions confiées à la Royale, eu égard aux évolutions des menaces et des tensions qui touchent, et toucheront, le domaine naval ?

L’Articulation des zones navales

Aujourd’hui, la Marine Nationale assure la protection et la surveillance des deux façades maritimes du pays, Atlantique/Manche d’un coté, Méditerranée de l’autre, ainsi que de 6 zones outre mer, à savoir la zone Caraïbe, la zone Guyane, la zone Polynésienne, la zone Nouvelle-Calédonie, la zone Réunionnaise et la zone de Saint-Pierre et Miquelon, auxquelles s’ajoutent les missions antarctiques, et les déploiements en zone arabe-Persique, notamment aux Emirats Arabes Unis. En outre, elle assure la protection et l’appui de ses 4 « Capital ships », à savoir le PAN Charles de Gaulle et les 3 Porte-Hélicoptères d’Assaut Mistral, Tonnerre et Dixmude. Elle doit également fournir des moyens aux actions coalisées de l’OTAN, de l’Union européenne, et des missions multilatérales, et participer à des missions de représentation et des exercices avec les forces alliées à travers le monde, tout en assurant la sécurité et l’efficacité de la posture stratégique de la composante sous-marine de la dissuasion française.

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L’évolution de la Menace

Durant la période post Guerre Froide, la notion de risque à l’encontre des forces navales avait presque disparu, avec la baisse sensible du nombre de bâtiments armés modernes et de sous-marins en état de combattre, et l’apaisement global des relations entre états. Mais depuis une dizaine d’années, ce risque est non seulement réapparu, mais il s’est amplifié au delà de ce qu’il était dans les années 80.

Ainsi, la Russie a reconstitué une force sous-marine importante, composée de sous-marins nucléaires et conventionnels discrets, capables d’agir de façon coordonnée avec les moyens navals et aériens du pays. Dans le Pacifique, la Chine dispose désormais de plus de 60 sous-marins d’attaque, dont une vingtaine de sous-marins disposant d’une propulsion AIP équipés de torpilles et de missiles anti-navires à changement de milieux. Ainsi, en zone Pacifique, le nombre de sous-marins opérationnels a plus que doublé en 25 ans. Plusieurs pays, dont la Chine, ont ainsi considérablement augmenté leur puissance navale et aéronavale, en s’équipant de nombreux bâtiments, de moyens aériens et de missiles anti-navires à longue portée. En outre, ces missiles ont également été massivement exportés, créant une menace permanente pour tout bâtiment s’approchant à moins de 200 km d’une cote potentiellement hostile, et pouvant être localisé par des drones, des navires légers, ou de simples flottes de pêcheurs.

ssk type 039 chine Air Independant Propulsion AIP | Analyses Défense | Constructions Navales militaires
La Marine Chinoise dispose d’une vingtaine de sous-marins à propulsion anaérobies Type 039

La conjonction de ces menaces engendre un besoin accru de moyens de protection pour les bâtiments eux-mêmes, et pour les Capital Ships qu’ils doivent escorter. En outre, la multiplication des moyens disponibles sur la planète réduit le délais d’intervention nécessaire pour s’opposer à une action navale ou aéronavale adverse. En 2030, la Marine Chinoise disposera de plus de 15 navires d’assaut majeurs Type 071 et Type 075, capables de mener des actions amphibies de grande envergure. Ces flottes de navires d’assaut, escortées de frégates et destroyers équipés de systèmes de déni d’accès, et de sous-marins emportant des missiles de croisière, obligent à repenser la disposition et la nature des forces navales déployées pour assurer la protection du territoire nationale dans son intégralité.

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Le format « nécessaire » de la Marine Nationale

Dans cette approche, nous nous limiterons à évaluer les besoins à horizon 2035/2040 pour la Marine Nationale sur la base du format actuel des unités majeures, et des besoins relatifs à la protection des cotes et voies navigables du pays et de ses territoires ultra-marins.

L’escorte des Capital Ships et la flotte métropole

Aujourd’hui, un déploiement du Charles de Gaulle ou d’un BPC en mission de combat s’effectue avec un dispositif de protection comprenant 1 frégate anti-aérienne, une frégate anti-sous-marine, un SNA et un Pétrolier ravitailleur. Ce format est cependant trop restreint pour faire face à la multiplicité et au renforcement des menaces à venir. Il sera nécessaire d’y adjoindre un troisième escorteur, capable de renforcer La Défense anti-aérienne si nécessaire, et de traiter une nouvelle menace sous-marine le cas échéant, ce qui correspond parfaitement aux capacités de la FDI. Un dispositif classique comporterait, dès lors, une frégate anti-aérienne, une FREMM ASM par ailleurs équipées de missiles MdCN, une FDI, un pétrolier ravitailleurs et un SNA Suffren, également capable de mettre en oeuvre les missiles MdCN.

Chaque façade maritime devra disposer, quand à elle, d’une force d’action navale similaire, pouvant renforcer ponctuellement les besoins d’escorte et de puissance de feu des Capital Ships, et participer aux missions coalisées sans altérer les capacités d’escorte des capital ships. Le besoin global « métropole » s’établit donc à 6 frégates Anti-Aériennes, 6 frégates ASM FREMM, 6 FDI, 6 pétroliers ravitailleurs et 6 SNA, ce qui n’est pas très éloigné des 15 frégates de rang, 4 pétroliers et 6 SNA du plan « Mercator » de l’Amiral Prazuck et du LBDSN2013.

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FREMM Aquitaine Air Independant Propulsion AIP | Analyses Défense | Constructions Navales militaires
Les frégates FREMM Aquitaine sont des unités majeures du dispositif anti-sous-marin de l’escorte des capital ships

A cela, il convient cependant d’ajouter les unités de protection rapprochée et de renforcement des côtes françaises, soit 4 Corvettes ASM et 2 sous-marins d’attaque à propulsion conventionnelle anaérobies AIP par façade maritime. Ces bâtiments sont destinés à alléger la pression opérationnelle sur la flotte hauturière, afin d’en maintenir et étendre le potentiel opérationnel et la disponibilité permanente. Car, en effet, aujourd’hui, la Marine Nationale n’a tout simplement aucune réserve, et comme l’Armée de l’Air, si une crise devait intervenir, elle aurait toutes les peines du monde à rassembler une force navale significative dans des délais courts. Les 8 Corvettes ASm et les 4 SSK permettraient à juste titre d’absorber cette pression, et de maintenir une posture opérationnelle active nécessaire et suffisante pour faire face aux enjeux en devenir, tout en réduisant les jours de mer par an des frégates, et donc d’améliorer la vie de famille et l’entraînement des personnels qui aujourd’hui dépassent parfois les 220 jours découchés en une seule année.

Les flottilles outre-mer

Aujourd’hui, la présence de la Marine nationale en zone outre-mer tient davantage des missions de Gardes Cotes que de celles d’une Marine de guerre, avec une unique Frégate de Surveillance ne disposant que de moyens miltaires très limités par zone, et des bâtiments d’action de l’Etat à la mer, sans potentiel militaire. L’augmentation des moyens des Marines et armées de l’Air de nombreux pays, et des tensions internationales nécessiteront de mettre en place des moyens bien plus significatifs pour assurer la protection de ces zones, et des ressortissants français qui y résident. Pour cela nous considérerons ici un découpage en 5 zones navales outre-mer : la zone Caraïbe et Guyane, la zone stratégique Polynésienne, la zone stratégique de Nouvelle-Calédonie, la zone stratégique de la Réunion et des mers australes, et la zone arctique de Saint-Pierre et Miquelon. Chaque zone doit disposer de moyens adaptés aux menaces potentielles auxquelles elles peuvent faire face. Pour cela, il serait avisé de disposer de 4 types de bâtiments différents, et non d’un seul comme aujourd’hui :

  • Les frégates polyvalentes outre-mer, dérivées des FDI, disposant comme les Belh@rra grecques d’un Sylver 70 supplémentaire pour 8 missiles MdCN et d’une configuration semblable aux FDI.
  • Les corvettes ASM outre mer, sont équivalentes aux corvettes de métropole, si ce n’est par de possibles aménagements de confort.
  • Les sous-marins d’attaque AIP sont similaires aux 4 SSK de métropole
  • Les bâtiments d’Intervention et de protection, seraient des LHD de dimensions réduites, jaugeant 10.000 tonnes, capables d’emporter et mettre en oeuvre 6 hélicoptères moyens ou de manoeuvre, et de projeter un SGTIA et son matériel.

Dans cette approche, les zone Caraïbe/Guyane et Saint-Pierre/Arctique disposeraient d’une frégate et de deux corvettes chacune, les zones Réunion, Calédonienne et Polynésienne d’une frégate, deux corvettes, un SSK et un BIP chacune. Ce format permettra de conserver une unité de surface combattante à la mer par zone en permanence, de capacités ASM et Anti-aériennes avancées, ainsi que d’une capacité de projection de forces importante et significative avec une escorte cohérente. Notez que ces bâtiments permettraient également de sensiblement renforcer les moyens d’action de la France en cas de catastrophe naturelle ou climatique, avec des délais bien plus courts qu’aujourd’hui.

Vue dartiste du demonstrateur SMX31 de Naval Group Air Independant Propulsion AIP | Analyses Défense | Constructions Navales militaires
Disposer d’une flotte de sous-marins à propulsion anaérobies permettrait à la Marine Nationale de libérer du potentiel pour leurs SNA

De fait, l’armement des zones outre-mer nécessiterait 5 frégates polyvalentes (1 par zone dont 1 arctique), 10 corvettes (2 par zone dont 3 spécialisées arctiques), 3 SSK et 3 BIP (1 SSK et 1 BIP par zone stratégique), auquel il conviendra d’ajouter une frégate, un SSK et un BIP pour assurer la disponibilité lors des phases de maintenance programmée.

Quel format pour la Marine nationale ?

Au terme de cette approche, nous avons donc défini le format requis pour la Marine nationale comme suit :

  • 4 Capital Ships : 1 PAN et 3 BPC
  • 4 SNLE (la dissuasion n’a pas été traitée dans cet article)
  • 6 SNA et 8 SSK, ou un panachage différent, selon le nombre d’équipages « nucléaires » disponibles
  • 6 frégates anti-aériennes
  • 6 frégates ASM FREMM
  • 6 frégates de Défense et d’Intervention
  • 6 frégates polyvalentes Outre-mer
  • 18 corvettes ASM
  • 3 Bâtiments d’Intervention et de Protection
  • 6 pétroliers ravitailleurs

Soit une différence de seulement 3 frégates avec le format de 15 frégates de 1er rang et 6 Frégates de surveillance, mais avec l’ajout de 18 corvettes, 8 SSK, 3 BIP et de 2 pétroliers. La différence représente 2 frégates Anti-aérienne (1 Md€ pièce), 1 FDI + remplacement des 6 FS (500 m€ unitaire), 8 SSK (800 m€ unitaire), 18 corvettes (250 m€) , 3 BIP (400 m€) et 2 PR (300 m€), soit un total de 18 Md€ d’investissements, auxquels il convient d’ajouter la R&D (2 Md€), et les investissements en cours sur la période 2020-2040, soit 12 Md€ pour les classes Alsace (2ex), FDI (5 ex) et Suffren (5 ex). Au total, la flotte de surface nécessaire et suffisante couterait donc 30 Md€ sur 20 ans, soit 1,5 Md€ par an. L’augmentation de la flotte aéronavale nécessaire se limiterait à une quarantaine d’hélicoptères, et à l’extension et le remplacement des moyens de surveillance (drones, Surmar) et de patrouille maritime, notamment outre-mer, soit un cout de 500 m€ par an sur 20 ans en tenant compte des commandes existantes de HIL, portant l’investissement requis total à 2 Md€ par an.

Illustration de la corvette Gowind 2500 de Naval Group acquise par lEgypte et les EAU Air Independant Propulsion AIP | Analyses Défense | Constructions Navales militaires
Une flotille de corvettes anti-sous-marines étendrait sensiblement les moyens d’action de la Marine Nationale

Extensions de la flotte

Chose interessante, l’augmentation du nombre de Capital Ships, pour atteindre non pas 1, mais 2 porte-avions, et 4 BPC au lieu de 3, ne nécessiterait pas d’augmenter le nombre d’escorteurs, et donc ne nécessiterait pas d’investissements complémentaires en dehors des moyens aériens. En effet, avec 18 frégates de 1er rang, 6 SNA et 6 PR, la Marine nationale disposerait des capacités de montée en puissance pour escorter tous ses bâtiments le cas échéant en charge maximale, ceci grâce aux deux flottilles de protection présentes sur chacune des façades maritimes. Avec une rotation des navires en entretien, la Marine disposerait alors en permanence d’une capacité à mobiliser un porte-avions et 2 BPC dans des délais courts. Dès lors, en ajoutant la construction d’un porte-avions, soit 5 Md€, et d’un BPC, soit 1 Md€, le total ne serait que de 36 Md€ à financer sur 20 ans, passant donc de 2 à 2,3 Md€ d’investissements par an. En ajoutant les besoins d’extension de la flotte embarquée, une quarantaine d’avions de combat et 3 AEW Hawkeye, soit 5 Md€, l’investissement global ne dépasserait pas les 2,5 Md€ par an pour l’ensemble des investissements navals de 1er rang. En tenant compte des bâtiments de guerre des mines, de servitude, de soutien et d’action de l’Etat à la Mer (hors SNLE), le cout annuel d’équipement de la Marine Nationale serait inférieur à 3 Md€, soit 0,2% du PIB national. A titre de comparaison, la Marine Russe bénéficie d’un investissement de 5 Md$ par an soit 0,3% du PIB, et l’US Navy de 90 Md$ soit 0,75% du PIB américain. Cela reste donc parfaitement raisonnable pour la deuxième Zone Economique Mondiale, membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unis, et 3ème puissance nucléaire mondiale en matière de têtes nucléaires …

Conclusion

Comme cela a déjà été démontré à de multiples reprises, le financement de ce besoin par l’Etat générerait un retour budgétaire égal ou supérieur aux sommes investies, de sorte que le solde de l’opération pour le budget de l’Etat serait neutre ou positif. En outre, l’emploi par la Marine nationale de frégates, corvettes, SSK et BIP agirait comme un important facteur pour soutenir les exportations de ces types de materiel par les industriels français, permettant d’augmenter sensiblement l’efficacité budgétaire de l’investissement consenti. Au final, en articulant les investissements et les opérations de vente de façon pertinente, le surcout pour le budget de l’Etat de l’augmentation du format de la Marine nationale, équipages compris, pourrait être entièrement neutralisé par les recettes sociales et fiscales consécutives à ces investissements, ainsi que par les économies sociales réalisées par les emplois ainsi créés.

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