jeudi, mars 28, 2024

Modéliser le facteur humain dans les simulations militaires

La simulation des engagements militaires, ou wargame, est devenue un outil privilégié de la formation de l’esprit technique et tactique des personnels militaires, et plus particulièrement des officiers. Or, si la précision technique et l’immersion de ces simulations se sont considérablement accrues ces dernières années, grâce aux outils informatiques de plus en plus puissants, le facteur humain, pourtant central dans la conduite des opérations militaires, est singulièrement sous-représenté. Dans cet article, nous étudierons comment il serait possible d’introduire ce facteur, pour rapprocher au mieux l’experience utilisateur lors des simulations de celles qu’il rencontrera sur le terrain des opérations.

Modéliser les effets du facteur humain dans les engagements militaires

Aujourd’hui, la majorité des simulations de combat utilisées pour former les personnels repose sur une modélisation des performances des équipements mis en oeuvre, dans une approche linéaire des capacités et performances des unités constituées sur la base des équipements disponibles, et, généralement, du flux logistique soutenant la puissance délivrée. Or, cette approche souffre de très nombreux contre-exemples opérationnels, ou des unités équipées de materiels performants, et disposant d’un flux logistique établi, eurent des performances très inférieures à celles auxquelles on pouvait s’atteindre.

Leopard 2A4 de larmee turc detruit Analyses Défense | Entrainements et Exercices militaires | Forces Terrestres
Léopard 2A4 turc détruit lors de l’opération Rameau d’Olivier en février 2018

Ainsi, en février 2018, aux premiers jours de l’opération Rameau d’Olivier dans le nord de la Syrie, les forces turques, pourtant équipées du très performant char Leopard 2A4, furent mises en déroute par des unités aguerries de Peshmergas ne disposant que d’armes légères et de roquettes antichars de type RPG. Plusieurs Leopard et M60 furent détruits ou abandonnés par leurs équipages, à la suite d’un engagement intense mais court. Dans le même ordre d’idées, plusieurs unités de chars lourds T72 irakiennes, pourtant retranchées et supérieures en nombre et en puissance de feu, furent également mises en déroute, puis détruites, par des unités de Bradley de l’US Army lors de la première guerre du Golfe. Dans les deux cas, les unités eurent une efficacité largement compromise par le manque d’experience de ses personnels.

A contrario, les forces tchétchènes, lors de la première guerre de Tchétchénie, en 1992, décimèrent les forces blindées russes pourtant équipées de T80 et le BMP-2. Si les forces russes ne se sont pas débattus, les forces tchétchènes, composées essentiellement d’anciens combattants ayant participé à l’intervention soviétique en Afghanistan, étaient très aguerries, et utilisèrent au mieux les caractéristiques du terrain, en l’occurence la ville de Grozny, pour éliminer les forces blindées russes. De même, les forces expéditionnaires britanniques prirent l’ascendant sur leurs adversaires argentins durant la guerre des Malouines, non pas du fait d’un equipment plus performant, mais de l’engagement de forces professionnelles face à des forces composées principalement de conscrits.

Dans ces exemples, le facteur clé semble être l’aguerrissement des forces, une agrégation entre l’expérience du combat et l’entrainement qu’elles eurent avant l’engagement. Mais le seul aguerrissement ne suffit pas à modéliser l’intégralité des effets liés au facteur humain lors des engagements.

Centurion israelien Kippour Analyses Défense | Entrainements et Exercices militaires | Forces Terrestres
Les forces blindées israéliennes équipées de Centurion britanniques parvinrent à stopper les unités de T55 et T64 égyptiens pourtant très bien entrainées, notamment grâce à une combativité exacerbée.

Ainsi, durant la seconde guerre d’Irak, en 2002, les unités de la garde républicaine de Saddam Hussein ne firent preuve dans la première phase du conflit que d’une combativité très limitée, sans rapport avec celle dont elles firent preuve dix ans auparavant. Pourtant, les forces n’avaient pas perdue en aguerrissement, en tout cas pas de manière uniforme et de façon aussi massive comme l’on pourrait le déduire à l’observation des affrontements. A l’inverse, durant la guerre du Kippour en 1972, les forces Israéliennes, qui faisaient face à des forces égyptiennes toutes aussi aguerries qu’elles ne l’étaient, prirent le dessus grâce à une combattivité extraordinaire, que beaucoup expliquèrent à posteriori par la réminiscence de la Shoa dans les esprits de combattants. De fait, bien qu’inférieures en nombre, et parfois en technologies, la combattivité et la volonté de vaincre israélienne finit par faire la décision dans ce conflit.

Il est possible de modéliser ce comportement sous la forme d’un facteur moral, agrégeant la volonté combattive des forces, qui s’appliquerait à l’ensemble des unités de la simulation.

La modélisation des effets exogènes sur le facteur humain

Le facteur humain pourrait donc se modéliser par l’intermédiaire de deux paramètres. L’aguerrissement serait propre à chaque unité de la simulation, et serait fixe sur l’ensemble de la durée de l’exercice, alors que le moral s’appliquerait uniformément à toutes les unités alliées engagées, et pourrait évoluer durant l’exercice, sous l’effet de facteurs exogènes, comme le décès d’un leader, ou endogènes, comme des pertes élevées ou une progression rapide.

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Même pour les unités aguerries, l’experience d’un barrage d’artillerie peut induire des modifications dans la réponse aux ordres, ou dans la précision de l’action militaire menée

Mais le facteur humain est également conditionné par des éléments extérieurs s’appliquant aux personnels et unités. Ainsi, une unité faiblement aguerrie pourra tenir une position tant qu’elle n’est pas sous le feu adverse, mais rompra dès que les pertes s’accumuleront. Mais même les unités les plus aguerries atteindront leur point de rupture sous un feu long et très nourri. De fait, il conviendra d’ajouter un paramètre de tension dans l’évaluation des effets du facteur humain, pour disposer d’une modélisation pertinente. Ce paramètre agirait comme un modificateur lors de l’évaluation des effets de l’aguerrissement ou du moral dans la simulation, pour en étendre ou diminuer les effets. Ces marqueurs de tension auraient une durée limitée conditionnée par les causes qui lui ont donné naissance, et seraient cumulatifs entre eux. Plus le score de tension serait élevé, plus les effets négatifs sur l’évaluation de l’aguerrissement et du moral seront exacerbés. A l’inverse, plus le score de tension sera bas, voir négatif dans certains cas particuliers, plus les effets positifs seront importants.

Le modèle non pondéré de simulation du facteur humain

Le modèle présenté repose donc sur 3 paramètres, l’aguerrissement, le moral, et le modificateur de tension, agissant à différents moments de la simulation, pour rendre au mieux le facteur humain dans la conduite des opérations.

Evaluation des effets du moral

Le Moral étant une donnée globale agissant au niveau stratégique, ses effets seront évalués selon un cycle défini pour l’ensemble des unités (toutes les heures, à chaque ‘tour’..). Ces effets seront déterminés par un jet aléatoire de faible amplitude, avec des effets corrigés des modificateurs de tension appliquées à l’unité sur la durée du cycle. Cette approche permet de ne pas créer d’effets immédiats du moral, mais une altération de sa résistance globale lors des engagements, ainsi que de sa capacité à suivre les ordres et à agir avec méthode et précision.

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Le tableau ci dessous montre la pondération possible des effets du test de moral sur les unités

Evaluation des effets de l’aguerrissement

L’aguerrissement intervient au niveau des engagements des unités, pour en déterminer les conséquences variables. Lorsque l’unité subit le feu adverse, l’évaluation de l’aguerrissement permet de modérer les effets sur les pertes, mais également les variations sur le modificateur de tension, qui intervient là comme un critère récursif : Une effet, la vérification de l’aguerrissement s’évalue compensée des modificateurs de tension, et peu résulter sur de nouveaux modificateurs. Mais contrairement au évaluation de moral, l’évaluation de l’aguerrissement peu engendrer également des modificateurs de puissance de feu, positifs ou négatifs, modélisant la combattivité des forces ; des « échecs de moral » engendrant une perte totale de combattivité (l’unité se rend), le replie ou la fuite de l’unité ; des modificateurs de pertes pour modéliser l’experience des forces face au feu.

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Un exemple de pondération des effets du test d’aguerrissement, évalué lorsqu’une unité subit le feu ennemie

Lorsque l’unité subit le feu adverse, le test d’aguerrissement modifié de la tension agit également comme une modélisation du facteur humain, en intégrant des erreurs humaines dans le suivi des ordres, dans la conduite des tirs de soutien, dans son positionnement, et dans le maintien des communication. Bien évidemment, les grilles de pondération dépendent des équipements des unités, et de l’environnement dans lequel elles évoluent. Une unité disposant d’un GPS aura moins de chance de se perdre ou de donner de mauvaises coordonnées tactiques que si elle évolue dans un environnement ou le signal GPS et les communications sont brouillées.

La pondération du modèle

La pondération des effets de ce modèle dépend avant tout de la nature de la simulation, et de ses paramètres constitutifs. L’objectif ici est de proposer un modèle implémentable facilement dans des simulations existantes, et donc dépendant des paramètres utilisés par ces simulations. En outre, selon l’échelle de la simulation, ou son objet, les effets ne pourront être modélisés de la même manière : on ne détermine pas les effets de variation du facteur humain à l’échelle du groupe de combat comme à l’échelle du SGTIA, ou comme à l’échelle d’un navire de combat ou d’unités aériennes, qui pourtant y sont, eux aussi, exposés, bien que différemment.

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Les simulations tactiques prennent rarement en compte le facteur humain – ici l’excellent TacOps 4, pourtant une référence dans le domaine.

Conclusion

La modélisation du facteur humain dans les wargames et simulations de formation militaire peut être abordée d’une manière simple et pragmatique, pour en étendre sensiblement la précision, avec un recours limité à l’aléatoire, trop souvent utilisé exagérément dès lors que l’on souhaite s’attaquer au problème. Par l’intermédiaire de 2 critères pondérés, le moral stratégique et l’aguerrissement, par ailleurs assez simplement pondérables lors de la création des simulations, d’un paramètre sous forme de pile représentant les modificateurs de tension actifs sur l’unité, et de quelques grilles d’effets conçues pour répondre à la réalité opérationnelle constatée ou anticipée et agissant sur les paramètres constitutifs de la simulation, le facteur humain peut même devenir un axe de simulation voir une approche tactique et stratégique à lui seul, ouvrant des possibilités exploratoires très interessantes pour la formation des officiers.

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