Faut-il un nouveau Livre Blanc sur La Défense en France ?

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Lors de sa prise de fonction, le nouveau chef d’Etat-Major de l’Armée de Terre, le général Burkhard, a déclaré que le combat de haute intensité était désormais devenu une hypothèse probable, et qu’il fallait donc s’y préparer. Enfin, diront certains … Dès lors le postulat émis, on ne peut que constater que les formats et les moyens dont disposent les armées françaises sont forts peu adaptés à ce type d’engagement. Pire, la LPM2019-2025, pourtant présentée comme la solution à tous les problèmes des forces armées nationales, n’y apporte que très peu de réponse. Et c’est bien normal, car la LPM en cours, comme la Revue Stratégique 2017 qui lui servit de cadre, s’appuient toutes deux sur un document fondateur, le Livre Blanc sur la Sécurité et La Défense nationale de 2013, document qui n’est, aujourd’hui, plus du tout en phase avec les réalités géostratégiques et opérationnelles du Monde.

Il faut dire que le LBSDN2013 est né dans un moment très particulier. Sa rédaction a en effet été entamé suite à la victoire du président Hollande aux élections de 2012, et était encore très imprégnée des paradigmes issus de la période de déflation massive des effectifs et des moyens du quinquennat Sarkozy. En outre, elle prenait corps alors que la France, et l’Europe, était en pleine crise économique issue de la dette des Etats, et le maitre-mot alors était « économie ». La Défense apparaissait à ce moment comme un outil divisé en deux parties :

  • Les forces de dissuasion qui représentaient l’assurance vie du pays face à un acte irrationnel d’une nation tiers
  • Les forces conventionnelles, organisées sous la forme d’un corps expéditionnaire, qui devaient assurer la projection de puissance de la France en coalition pour le maintien de l’ordre international.

Grace à l’implication du ministre de La Défense JY Le Drian et des Chefs d’Etat-Major de l’époque, le LBDSN2013 évita de justesse de sombrer dans le plan « Z » proposé par Bercy, qui prévoyait un format des armées ramené à 150.000 hommes, pour un corps expéditionnaire de 50.000 hommes, des forces spéciales, et des moyens aériens et navals adaptés aux théâtres de basse et moyenne intensité, sans notion d’autonomie stratégique. Malgré tout, le LBDSN 2013 fut construit sur un format très limité, de seulement 200.000 hommes, dont une force opérationnelle terrestre ramenée à 70.000 hommes, une force navale limitée à 1 porte-avions et 15 frégates, et une force aérienne ne disposant que de 185 chasseurs. En outre, les moyens lourds, comme les chars de combat, les systèmes d’artillerie lourds, les destroyers, et les avions de combat, étaient limités à leur plus stricte minimum pour conserver des savoir faire durement acquis, et être en mesure, le cas échéant, de participer à des coalitions.

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Mirage2000D de lArmee de lAir un patrouille seree Alliances militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
La modernisation des mirage 2000D de l’Armée de l’Air débutée cette année n’est pas adaptée à un engagement des appareils sur des théâtres de haute intensité

La réalité ne tarda pas cependant à ramener le pays aux dures réalités du monde dans lequel nous évoluons. L’encre du Livre blanc n’avait pas encore séché que débutait la crise ukrainienne, avec l’annexion russe de la Crimée et le début du conflit dans le Donbass. Dans le même temps, la france intervenait militairement au Mali et en Centre-afrique. Un an plus tard, ce furent les attentats de Paris, l’intervention russe en Syrie, le début de la main mise chinoise en mer de Chine. En quelques années, il devint évident que la Russie, la Chine, la Turquie, mais également l’Inde, le Pakistan, et les Etats-Unis, étaient entrés dans une nouvelle ère de tensions internationales, avec la réapparition du spectre des conflits entre états.

Pour autant, le LBDSN2013, pourtant construit sur la base de postulats dont il était désormais évident qu’ils ne s’appliquaient plus, ne fut pas remis en question. Et les décisions politiques de l’époque se concentrèrent autour d’un moratoire sur les déflations d’effectifs, et le lancement de quelques programmes symboliques, visant toujours le même objectif d’action en coalition, et d’engagements de faible à moyenne intensité.

Lors de la campagne présidentielle de 2017, La Défense fut un des thèmes de campagne, et la plupart des candidats inclurent dans leur programme la volonté d’amener le budget de La Défense à 2% du PIB, seuil dont la pertinence est très contestable, mais qui est présenté depuis quelques années comme l’Alpha et l’Oméga de la sécurité nationale. Suite à son élection, le président Macron ordonna la rédaction d’une Revue Stratégique qui servirait de cadre à la rédaction de la Loi de Programmation Militaire 2019-2025. Mais cette revue stratégique était limitée par 2 paradigmes stricts imposés par l’exécutif :

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  • Le respect de la limite du budget des armées à 2% de PIB à la fin de la LPM
  • Le respect du format défini par le LBDSN2013

Evidemment, dans ce contexte, l’intérêt d’une Revue Stratégique était très limité, puisque la conclusion stratégique était écrite avant même qu’elle fut rédigée. Et de fait, la LPM qui en découla fut atteinte des mêmes stigmates que les lois de programmation précédentes. Elle était conçues certes dans une optique de recapitalisation des moyens des armées, avec la progression annoncée du budget des armées de 1,7 Md€ par an jusqu’en 2023, mais ces ressources furent concentrées vers des moyens adaptés aux engagements de faible intensité, à l’image de ceux auxquels participent la France en zone sud-saharienne ou au Levant.

La fregate 22Languedoc22 une des 6 fregates de 1er Rang FREMM Alliances militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
Depuis de nombreuses années, la Marine nationale estime le besoin de frégates de 1er rang à 24 unités, contre 15 prévus par le LBDSN2013 et la LPM20219-2025

En outre, les exemples récents ont montré que le postulat de l’action coalisée peut lui aussi s’avérer incertain, comme la Royal Navy en fait l’experience aujourd’hui. Les agendas des capitales européennes peuvent diverger de celui de Paris, ou plus simplement, les capitales peuvent ne pas disposer de moyens à consacrer à la mission coalisée. Rappelons à ce titre que lorsque la France a déclenché la mission Serval au Mali, seule le Belgique déploya des forces (hélicoptères SAR) en soutien des forces françaises sur le sol Malien. Pour autant, la France n’était pas isolée, puisque plusieurs pays européens, et l’allié américain, apportèrent un soutien logistique massif au déploiement des forces françaises. Il en fut de même en RCA, ou le seul pays qui déploya des forces au coté des unités françaises fut la Georgie.

Face aux cadre stricte imposé par le LBSDN2013, et non amendé par la RS2017, les chefs d’Etat-Major français ont commencé, depuis peu, à mettre en évidence les moyens trop limités dont ils disposent pour faire face aux enjeux de défense actuels et à venir, comme le CEMA et le CEMAT qui firent référence à la résurgence des conflits de haute intensité, le CEMM qui pointa le format trop restreint de la flotte combattante de surface, et le CEMAAE qui regretta il y a quelques jours le nombre trop limité de Rafale pour assurer les missions de la Force aérienne stratégique. Considérant le cadre stricte dans lequel les chefs d’état-major peuvent s’exprimer, il est évident que la problématique devient de plus en plus pressante, et le manque de moyens et de prise de conscience des risques au niveau politique créé aujourd’hui une réelle inquiétude.

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Dans ce contexte, il apparait évident que le document encadrant La Défense nationale, le Livre Blanc, doit être renouvelé, avec une analyse préalable objective des risques et des moyens requis sur une base temporelle identifiée sous forme de revue stratégique. En séparant les approches, d’un coté une analyse et une expression de besoin objective sous forme de Revue Stratégique, et un Livre Blanc qui constitue la réponse politique à ces besoins, l’efficacité, mais également les responsabilités, des décisions entourant La Défense nationale apparaitront clairement, ce qui pourrait, d’ailleurs, inciter l’exécutif à étudier sérieusement de nouvelles approches économiques et budgétaires pour le financement des besoins de Défense.

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