Depuis les premières prĂ©sentations du projet Shtorm en 2015, il ne se passe pas une annĂ©e sans qu’une nouvelle maquette du « prochain porte-avions nuclĂ©aire » russe ne soit prĂ©sentĂ© au public, par les bureaux d’Ă©tude Krylov. Et cette annĂ©e ne fait pas exception, avec la prĂ©sentation du Project 1143E Lamantin, un porte-avions de « 350 m » de long et de « 90 Ă 100.000 tonnes », propulsĂ© par un rĂ©acteur nuclĂ©aire Ă©paulĂ© par des turbines Ă gaz, et pouvant mettre en oeuvre une centaine d’aĂ©ronefs, dont des versions navalisĂ©es du Su57 et du drone de combat S70 Okotnik.
Cette annĂ©e, le Chef d’Etat-Major de la Marine Nikolai Yevmenov, Ă l’occasion du salon de St-Pertesbourg, a annoncĂ© que le ministère de La DĂ©fense avait lancĂ© une Ă©tude visant Ă dĂ©finir les recommandations techniques pour la construction d’un porte-avions nuclĂ©aire, celle-ci n’Ă©tant toutefois « pas dans l’immĂ©diat » selon ses dires.
La question de la construction d’un nouveau porte-avions en Russie est, en fait, assez semblable Ă cette mĂŞme question en France : Tous reconnaissent son utilitĂ©, tous le disent indispensable, mais personne ne veut prendre la dĂ©cision de lancer un investissement dĂ©passant les 200 Md de Roubles en Russie, ou les 5 Md€ en France. Car en effet le porte-avions souffre de plusieurs points faibles critiques, agissant contre lui de façon systĂ©matique :
- Le ticket d’entrĂ© est très Ă©levĂ©, d’autant qu’il faut y ajouter le groupe aĂ©rien embarquĂ©, et l’escorte.
- Le potentiel Ă l’export de ce savoir-faire est très rĂ©duit, pour ne pas dire fondamentalement inexistant.
- L’applicabilitĂ© des technologies et des savoir-faire spĂ©cifiques est, elle aussi, extrĂŞmement limitĂ©e
- Les besoins pour un tel bâtiment sont rares, et limités à des scénarios spécifiques
- Enfin, le porte-avions est souvent présenté comme vulnérable, notamment aux attaques par missiles hypersoniques.
Dans un contexte ou l’investissement global est contraint, ce qui est très souvent le cas, la dĂ©cision de construire ou ou plusieurs porte-avions apparait dès lors comme Ă©tant au dĂ©triment de l’acquisition d’autres Ă©quipements, pouvant ĂŞtre jugĂ©s plus utiles dans nombre de scĂ©narios. En France par exemple, l’ArmĂ©e de l’Air est devenue coutumière de porter des estocades rĂ©pĂ©tĂ©es contre les projets visants Ă construire un second porte-avions, en utilisant, d’ailleurs, ces mĂŞmes arguments.
Dans ce contexte, pourquoi certains pays, comme la Grande-Bretagne, la Chine, l’Inde, la Russie et bien Ă©videmment, les Etats-Unis, sont prĂŞts Ă fournir ces efforts, pour disposer de cette arme si couteuse et vulnĂ©rable ? En effet, la Grande-Bretagne, dont les investissements de dĂ©fense ne sont pas Ă©loignĂ©s de ceux de la France, a consenti Ă fabriquer 2 porte-avions de 60.000 tonnes Ă tremplin Ă©quipĂ©s de F35B, quitte Ă devoir rĂ©duire sa flotte de Typhoon et de frĂ©gates, alors que la Chine a lancĂ© la construction d’un 3eme porte-avions, qui disposera cette fois de catapultes Ă©lectromagnĂ©tiques, et qui devrait avoir au moins un sister-ship avant d’entamer, d’ici 2025, la fabrication du premier porte-avions lourd Ă propulsion nuclĂ©aire comparable aux modèles amĂ©ricains.
C’est que le porte-avions apparait aujourd’hui comme l’arme de l’arsenal conventionnel la plus puissante dont peu disposer un Ă©tat. Il n’est d’ailleurs pas surprenant de constater que les Etats disposant de porte-avions sont ceux qui disposent du plus grand nombre de tĂŞtes nuclĂ©aires. A ce titre, le porte-avions, bien plus que n’importe quel autre système d’armes, porte un message discriminant de puissance Ă l’Ă©chelle mondiale.
Alors que les tensions mondiales ne cessent de s’aggraver, que la course aux armements est relancĂ©e, et que plusieurs pays prĂ©parent leur population Ă l’hypothèse d’un guerre, la possession d’un ou plusieurs porte-avions apparait plus que dĂ©terminante dans la capacitĂ© Ă agir au delĂ de ses frontières, et donc Ă peser sur la transformation de la gĂ©opolitique mondiale. Ceci explique pourquoi britanniques, indiens et chinois consentent Ă de tels efforts, et pourquoi la Russie en rève malgrĂ© ses moyens limitĂ©s. Ces pays veulent compter dans le monde de demain.