La radio HF face aux défis techniques et enjeux géostratégiques du XXIème siècle

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L’Union Internationale des Télécommunications (UIT) situe la bande HF entre 3 et 30 MHz, l’usage technique élargit son usage de 2 à 30 MHz. Cette partie du spectre, bien que limitée au regard de la bande passante disponible mérite une attention toute particulière. La maitrise du domaine HF est un domaine majeur en termes de Télécommunications et de Guerre Electronique, à l’instar des domaines maritime, cyber, aérien et spatial. L’absence de frontières physiques et sa capacité à effectuer des trajets intercontinentaux lui confère une profondeur stratégique.

Cette capacité des ondes à couvrir le monde entier par le système des rebonds ionosphériques révèle une gamme certes connue depuis les débuts de la radio mais toujours très exigeante quant aux impératifs pour établir une liaison. 

La gamme HF : faiblesses et forces.

Jusqu’à l’introduction des premiers satellites géostationnaires de télécommunications dans les années 60, la radio HF était la seule solution pour établir une liaison entre stations mobiles. Le savoir-faire de l’opérateur radio était alors primordial, celui-ci devait évaluer les conditions environnementales,sélectionner la meilleure fréquence en fonction des heures de la journée, des saisons, adapter le débit de son émetteur, retransmettre ses messages en cas de pertes…

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L’arrivée du satellite va simplifier le travail de l’opérateur, amener de nouveaux et précieux services mais aussi faire émerger de nouvelles contraintes. En effet, établir une liaison sur un satellite géostationnaire nécessite de pouvoir viser le satellite, ce qui n’est pas toujours évident lorsque l’on se déplace en espace contraint (immeubles, relief, forêts…) et sont géographiquement limités en couverture : à titre d’exemple les services d’Inmarsat ne sont possibles que jusqu’à 75 voir 76 degrés Nord ou Sud (avec une perte en débit dès 65 degrés). De plus, cette technologie reste couteuse, le prix de la liaison satellite reste un frein à son hégémonie.

Rafale F3R Marine Analyses Défense | Communication et Réseaux Défense | France
Le besoin croissant et constant de communication des systèmes d’armes modernes offrent une nouvelle jeunesse à la bande HF

D’autre facteurs auraient également pu amener au déclin de l’usage de la HF, notamment pendant les années 90 : des liaisons V/UHF au débit supérieur, l’avènement du GSM, des modems HF limités en débit…A cette époque, face aux besoins naissants sur les réseaux (image et vidéo), la HF parait mal armée. Mais l’intérêt de cette bande de fréquence réside dans sa flexibilité avec la possibilité de recevoir des signaux en montagne, dans la jungle, dans un canyon, sous quelques mètres d’eau, en résumé dans des milieux où les autres gammes de fréquence sont souvent inopérables.

Afin d’être aussi précis et à jour que possible, il convient de noter les efforts des fournisseurs de service satellite. En effet, l’aspect stratégique de l’Arctique a conduit une société comme Inmarsat à investir dans le cadre de son évolution Global Express sur deux satellites à orbite elliptique élevée, c’est le « Arctic Satellites Broadband ». Le fameux lanceur d’Elon Musk SpaceX devrait lancer les deux satellites sur une fusée Falcon 9 fin 2022.

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Pourquoi évoquer cette contrée polaire ? Sans (forcément) le savoir, vous consommez de la bande HF lorsque vous effectuez, par exemple, un vol Paris / New York. La route orthodromique vous conduit très nord, l’avion de ligne va régulièrement envoyer sa position en HF via le système HFDL (High Frequency Data Link), sur cette fréquence de transmissions de données qui n’a rien de militaire mais qui trouve sa raison d’être en raison de son coût de fonctionnement très réduit et du besoin de redondance des moyens aéronautiques. Plus de 3000 appareils sont équipés et le trafic représente plus de 4 millions de messages par mois. 

La gamme HF : environnement complexe à maitriser mais des améliorations techniques constantes.

Ce qui fait la particularité des liaisons HF, c’est qu’elle implique une parfaite connaissance et compréhension des conditions de propagations. En clair, il est possible de passer de conditions (rares) où il est pratiquement impossible d’établir une liaison du fait de l’activité solaire (black-out) à une situation d’amplification anormale des signaux (les fameux ducts et autres conduits de surface maritimes très réguliers en cas de fortes chaleurs). Entre ses deux extrêmes, la propagation engendre son lot de réception du même signal par trajets multiples, et de variation de puissance à la réception (phénomène d’évanouissement), interférence entre signaux provenant des trois différentes régions de l’Union Internationale des Télécommunications. 

Afin de faciliter le travail des opérateurs, l’établissement automatique des liaisons (Automatic Link Establishment 2G puis 3G) va venir révolutionner la prise de contact entre stations avec une capacité de sélection automatique sur la meilleure fréquence et une convergence vers l’adressage IP. L’interface homme-machine va également évoluer avec les radios à interface logicielle (Software Defined Radio). 

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Mais c’est la très nette amélioration du débit qui place aujourd’hui la HF en position favorable. En associant simultanément plus d’une dizaine de canaux d’environ 3 kHz, les débits peuvent dépasser les 100 kbps et des projets comme celui de THALES HFXL/Salamandre donnent un nouvel essor à cette gamme d’un âge respectable.

Thales MFSK HF modem Analyses Défense | Communication et Réseaux Défense | France
Les modems THALES HFXL offrent une solution de connexion data HF transhorizon sans satellites à plus de 100 kbps

Reste à solutionner le problème du placement des antennes. La France n’est pas en retard dans le domaine du calcul des propagations et de la planification des réseaux. Il faut saluer le travail de la société ATDI avec un travail tout particulier sur cette gamme de fréquence.

La gamme HF : utilisateurs classiques et nouveaux utilisateurs

Les utilisateurs de cette gamme sont nombreux : services d’urgence, radio-amateurs, services diplomatiques, transmissions de données militaires tactiques, aviation civile en phonie sur les vols transocéaniques, hélicoptère de surveillance maritime, liaisons de données aéronautiques, marines militaires et civiles, forces militaires aériennes et terrestres, services de sécurité, radios commerciales analogiques ou numériques…

Mais un utilisateur de la bande HF s’impose par la taille de sa bande passante, c’est le radar, à la signature très particulière sur le spectre, présent en veille maritime côtière tout comme en veille aérienne stratégique.

La multiplication des radars HF

Au sein de cette bande déjà restreinte, l’utilisation du radar se consolide année après année. Face à des cibles dont les Surfaces Equivalentes Radar (SER) sont très étudiées, le radar HF tire son épingle du jeu. Les pertes dans l’atmosphère sont beaucoup plus faibles en HF et beaucoup de nations ont développé ou installé des radars opérants sur cette gamme de fréquence. Deux types de systèmes sont principalement présents : ceux dédiés à la veille côtière et ceux dédiés à la veille aérienne (Over The Horizon Radar).

Les radars HF côtiers sont multistatiques, c’est-à-dire qu’ils émettent sur plusieurs émetteurs, et reçoivent sur plusieurs récepteurs, en polarisation verticale pour rechercher une propagation par onde de surface, au niveau de la mer. Utilisés au départ pour mesurer les courants marins, ils permettent aujourd’hui d’assurer une veille de surface sur environ 200 nautiques, répondant ainsi à la problématique de surveillance de la Zone Economique Exclusive. Les USA (avec la firme CODAR), La France (projet Stradivarius), l’Allemagne (WERA), l’Italie, l’Espagne, la Croatie, la Chine, la Russie, l’Arabie Saoudite, le Maroc (entre autres) utilisent ces radars qui peuvent même assurer une veille sur des phénomènes météorologiques anormaux type tsunami.

Fonctionnement Stradivarius Analyses Défense | Communication et Réseaux Défense | France
Présentation du fonctionnement du Stradivarius français par diginext

Ces radars à ondes de surface émettent souvent en onde continue modulée en fréquence (Frequency Modulation Continuous Wave ou FMCW).

Les radars OTH quant à eux, sont orientés « veille aérienne » plus fréquemment en émission pulsée, avec un temps de répétition des impulsions très long, c’est-à-dire disposant d’un temps d’écoute calibré pour une veille théorique maximale de 6000 kilomètres. Les utilisateurs de ce type de radar sont l’Australie avec le projet JORN, la France avec Nostradamus, les USA, le Royaume-Uni avec le radar Pluto (en FMCW) situé à Akrotiti (Chypre), l’Iran avec le radar Ghadir, la Russie avec les radars Rezonans et Kontayner, Israel, la Chine, la Roumanie, l’Ukraine… Ce qui constitue la caractéristique de ces systèmes, c’est leur bande passante d’au moins 25 kHz par émetteur, pouvant atteindre 160 kHz en Chine et même 1 MHz en Iran, vers 28 MHz. Pour mémoire, un utilisateur habituel occupe moins de 3 kHz en bande latérale unique.

Des affrontements quotidiens sur le spectre en HF

Cette gamme voit également s’affronter des états par brouillages sur les radios commerciales. Ainsi la Chine brouille régulièrement les émissions de la radio de Taiwan « Sound Of Hope » dirigées vers son territoire, la Corée du Sud brouille les émissions de la radio officielle nord-coréenne, l’Ethiopie interfère sur la radio érythréenne avec ses brouilleurs HF.

Du point de vue des acteurs non-étatiques, les usages non-conformes sont aussi présents. A la surface de l’océan Indien et plus particulièrement de la mer d’Arabie, cette zone connue pour ses activités illicites, les pirates sont également présents en HF. Leur méconnaissance des limites d’allocations des fréquences les amène régulièrement à échanger sur des fréquences à vocation non-maritime. On constate que leurs activités illégales concernent également l’occupation spectrale, et dans le monde de la radio, ce type d’occupants est appelé « intruder ».

A titre d’exemple plus pacifique, en Océan Atlantique, ces « intruders » sont constitués de pêcheurs transmettant en phonie, et de balises associées aux filets de pêche dérivants. De façon plus générale sur le globe, certains systèmes militaires de transmission russes sont régulièrement hors de leurs allocations et interfèrent avec les usagers officiels. 

Sans jouer les Cassandre, il est possible d’envisager les affrontements futurs sous le prisme d’attaques combinées (physiques et/ou cyber) sur les câbles sous-marins et les liaisons satellites, dont la puissance reçue reste faible. Les infrastructures, tant pour les câbles que le segment sol/télémétrie des satellites pourraient montrer leurs vulnérabilités, et dans ce contexte la HF reviendrait un moyen prioritaire de communications, sûr, alliant mobilité, rusticité et modulations avancées pour assurer des débits compétitifs.

Mikael Riot

Spécialiste en Guerre électronique

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