Peut-on développer un porte-avions franco-allemand ?

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Depuis quelques mois, une partie de la classe politique allemande, la plus europhile, semble particulièrement prolixe en matière de projet de coopération européenne de Défense, et notamment concernant la coopération franco-allemande. Parfois, l’idée passe clairement à coté, comme lorsque le ministre des finances Olaf Sholtz du parti SPD, allié de la CDU d’Angela Merkel, proposa que la France cède son siège de membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU à l’Union Européenne, une idée aussi incongrue que juridiquement impossible. Angela Merkel, elle, s’est exprimée en faveur d’une armée européenne proposée par E.Macron, dans une allocution face au parlement européen le 13 novembre 2018.

La société civile semble elle aussi s’emparer du sujet. Ainsi, lors du Munich Security Forum 2019, le très respecté président du comité  Wolfgang Ischinger, proposa à l’Allemagne et à l’Europe de se mettre sous la protection de la dissuasion nucléaire française.

Le 10 mars, la nouvelle présidente de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer, qui remplace Angela Merkel à la tête du parti de gouvernement de droite allemand, a proposé dans le grand quotidien Die Welt, à la France et l’Allemagne, de mettre en Å“uvre un porte-avions à l’échelon européen.

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Et comme lors des précédentes ouvertures allemandes, les réactions françaises, que ce soit de la part des politiques interrogés sur le sujet comme dans la communauté Défense, sont dans leur immense majorité, hostile à cette idée.

Il faut dire que, parmi tous les pays européens, la France est, avec la Grande-Bretagne, le pays qui maitrise le mieux les opérations aéronavales, ses contraintes, et les contextes qui les entourent. Ainsi, dans de nombreux cas, l’utilisation du porte-avions a été requise dans des délais très courts, au dessus de zones non sécurisées, avec un brouillard de guerre particulièrement dense. Ce fut le cas en Libye comme en Syrie, ou au Liban avant cela.

Or, l’Allemagne n’est juridiquement pas équipée pour répondre à ces enjeux très courts, et ses atermoiements répétés à intervenir semblent antinomiques avec l’usage d’un porte-avions, tel que la France a utilisé le Charles de Gaulle depuis 20 ans.

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La mutualisation des moyens constitutifs du groupe aéronaval semble davantage avoir les faveurs de l’opinion publique, comme danse le cas pour la mission Clémenceau qui vient de débuter, le PAN français étant escorté, au delà de la FREMM Provence et de la FDA Forbin, alternativement par une frégate danoise, portugaise, et des unités britanniques et américaines. 

Alors, l’idée d’un porte-avions franco-allemand, ou européen, est-elle dénuée de sens ? Loin s’en faut !

Comme souvent dans ce type de situation, lé réponse donnée est avant tout dictée par la pensée critique, conditionnée par les difficultés passées. Comment imaginer l’utilisation d’un porte-avions franco-allemands alors que nous ne parvenons pas à intervenir conjointement en Afrique ou au Moyen-Orient ?

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Deux biais faussent la perception de la problématique :

  • le premier suppose que si un porte-avions est franco-allemand, la France n’aura plus de porte-avions national. Ce biais fut également largement en cause dans les réactions négatives face à la conception d’une armée européenne, qui ne supposait pas le remplacement des armées nationales, et qui pourtant fut interprété de cette manière par la majorité.
  • Le second biais suppose que l’avenir sera similaire au passé. Si, par le passé, le porte-avions a été majoritairement employé au Moyen-Orient, et en Afrique du Nord, il est naturel de supposer que tel sera sa fonction dans le futur, ce qui est évidemment très improbable. Avec le réarmement massif de la Russie, mais également de la Chine, du Pakistan, et d’autres pays, les missions du porte-avions pourraient bien rapidement évoluer vers des besoins beaucoup plus consensuels entre la France et l’Allemagne, pour protéger par exemple, la circulation en Atlantique Nord, ou dans le Pacifique et l’Océan Indien.

Dès lors que l’on passe outre ces deux biais de lecture, l’hypothèse d’un porte-avions européens, voir de deux, puisque l’on sait qu’il faut deux porte-avions pour maintenir une permanence opérationnelle, devient beaucoup plus séduisante. Car il s’agit d’imaginer non pas ce que l’on ne pourra pas faire, mais ce qui sera alors possible de faire, alors que cela ne l’est pas aujourd’hui, avec l’unique Charles de Gaulle.

Un tel projet serait également particulièrement fédérateur dans la construction de l’Europe de la Défense, le bâtiment devenant, en quelques sortes, le symbole même de cette construction. Or, on le sait, les grandes ambitions nécessitent des symboles forts. Et qui a t il de plus fort que de voir un porte-avions portant le pavillon européen se positionner dans une zone navale contestée pour préserver les intérêts de tous les européens ?

Enfin, il faut se rappeler qu’aujourd’hui, seul les chantiers STX, Naval Groupe et Dassault Aviation disposent en Europe des savoir-faire spécifiques à la conception, la mise en œuvre et la maintenance d’une force aéronavale embarquée. Dès lors, un ou plusieurs porte-avions européens bénéficieraient naturellement à l’industrie, et à l’emploi, dans le pays.

On le voit, l’idée d’un (ou plusieurs) porte-avions franco-allemands, ou européens, serait loin d’être aussi ridicule que l’on pourrait s’en convaincre de prime abord. Ce serait, évidemment, un projet à la fois complexe, semé d’embuches, et long. Mais quand, dans l’histoire de la création de l’Europe, une telle opportunité s’est elle déjà présentée ? Et si nous ne la saisissons pas, se représentera-t-elle un jour ? Cela vaut bien de creuser un minimum l’idée, n’est-ce pas ?

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