Le Socle Défense, un outil pour reconstruire la Défense grecque

- Publicité -

Depuis la crise de 2008, les forces armées grecques ont vu leurs crédits de fonctionnement et d’équipements divisés par 2. Aujourd’hui, les armées du pays disposent annuellement d’un budget annuel de 4,5 Md€, très inférieur aux besoins pour faire face aux enjeux de sécurité réels du pays. Dans le même temps, les crédits d’équipements ont été ramenés à moins de 500 m€ par an, créant d’importants problèmes pour la modernisation et le remplacement des équipements, notamment des équipements majeurs comme les bâtiments de combat de la Marine, les avions de chasse de l’Armée de l’Air, ou les blindés et hélicoptères de l’armée de terre.

Dans ce contexte, est-il possible de concevoir un modèle économique qui permettrait de sortir de cette impasse budgétaire, et de reconstruire les capacités défensives du pays ?

La montée en puissance militaire turque

La principale menace concernant la Grèce et ses intérêts reste, comme depuis des décennies, la Turquie. Au delà des différents territoriaux et du cas chypriote, les ambitions du président Erdogan de revenir aux frontières de 1912 menacent directement l’intégrité même du pays. Or, depuis son élection à la tète de l’Etat en 2002, R.T Erdogan a entrepris de considérablement augmenter les moyens des forces militaires de son pays, comme de son industrie de Défense. En moins de 20 ans, le budget des armées est passé de 7 à 19 Md$ aujourd’hui. Grâce à cela, les armées turques ont lancé l’acquisition de nombreux équipements modernes, comme la centaine de F35A dont la Turquie est un des principaux partenaires, ou les 6 sous-marins Type 214 AIP commandés auprès de l’Allemagne. Elle a également diversifié ses sources d’approvisionnement, en se rapprochant de la Chine et surtout de la Russie, auprès de laquelle elle a acquis 4 régiments de S-400.

- Publicité -
S400 Turquie livraison Archives | Aviation de chasse | Budgets des armées et effort de Défense
Les batteries de S400 russes livrées à la Turquie ont la capacité d’interdir l’accès aux forces aériennes grecques au dessus de l’ensemble des iles grecques de la mer Egée

Son industrie de Défense a également fait d’immenses progrès, devenant un acteur sur la scène internationale. En 2018, la Turquie aura ainsi exporté pour 2 Md$ d’équipements de Défense. Cette dynamique a permis aux autorités turques de lancer des programmes de défense très ambitieux, comme le programme de chasseur de nouvelle génération TFX, réalisé avec de très importants transferts de technologies de la parts des britanniques de BAe et de Rolls-Royce, ou le programme naval MILGEM. De fait, sur la décennie 2020-2030, la Turquie va acquérir pour 60 Md$ d’équipements majeurs de défense, soit prés de 10 fois le budget prévisionnel des forces grecques sur la même période, un écart de moyens réduisant très significativement la capacité de dissuasion de la Grèce vis-à-vis de son voisin.

La Défense à Valorisation Positive, une approche économique innovante de l’investissement de Défense

Il apparaît donc que la Grèce est dans l’obligation impérieuse d’augmenter rapidement ses capacités d’investissement en matière de Défense, particulièrement concernant l’acquisition d’équipements modernes capables de s’opposer aux nouveaux équipements turques. La solution peut venir d’une nouvelle doctrine économique développée en France, la Défense à Valorisation Positive. Cette doctrine propose de remplacer le pilotage de l’investissement de Défense avec le seul critère de la dépense, par la prise en compte du solde budgétaire de l’investissement réalisé. En effet, lorsque l’Etat investit dans des équipements de Défense construits dans le pays, il génère des emplois, qui génèrent eux-mêmes des retours budgétaires par les charges et taxes payées sur les salaires et par les salariés, ainsi qu’en économisant sur le cout social que représente un chômeur chaque année.

Ainsi, en Grèce, lorsque l’Etat investit 1 million d’Euro dans l’industrie de Défense, il génère 64 emplois, représentant la somme des emplois directs, de sous-traitance et de consommation résultants de cet investissement. Chaque emploi salarié génère, en moyenne, dans le pays, 16.000 € de recettes et économies fiscales et sociales chaque année, en prenant en considération l’abaissement de charges prévus. En conséquence, 1 million d’euro investit génère 1,024 million d’euro de recettes et économies budgétaires, soit un retour optimum de 100%.

- Publicité -
T129 Atak Archives | Aviation de chasse | Budgets des armées et effort de Défense
Depuis une vingtaine d’années, les forces turques ont entrepris un très important effort de modernisation et de renforcement, de même que l’industrie de Défense du pays. Ici l’hélicoptère de combat T129 turc

On le comprend, il y a un immense intérêt pour un pays disposant de capacités industrielles, à développer au maximum le recours à sa propre industrie de Défense. Par ailleurs, la grille d’évaluation basée uniquement sur l‘évaluation des couts, classiquement employée par les autorités de tous les pays européens, ne permet pas d’appréhender le solde budgétaire représentant le cout effectif pour l’Etat de cet investissement.

Le Socle Défense, un modèle adapté aux spécificités de la Grèce

Si la doctrine Défense à Valorisation Positive apporte un éclairage nouveau sur la conception de l’effort de Défense, elle ne peut être appliquée directement à la problématique Grecque, du fait des délais entre l’investissement initial et le retour budgétaire effectif, qui atteint 6 années. Or, le pays n’a pas capacité à produire un effort initial sur une durée aussi longue, sans déstabiliser profondément les efforts de restructuration de l’économie et de la dette du pays.

Le modèle économique du Socle Défense permettrait de résoudre cette équation.

- Publicité -

Ce modèle repose sur une société d’Etat, donc détenue majoritairement par l’Etat grecque, qui se porterait acquéreuse des équipements de Défense pour le compte des armées, et qui les loueraient à ces mêmes forces armées, pour une durée de 20 à 25 ans. En procédant ainsi, l’Etat n’a besoin de payer que les loyers des équipements en service, ce qui lisse les dépenses sur l’ensemble de la durée de production. En procédant ainsi, les dépenses sont suffisamment étalées pour permettre à l’Etat d’optimiser ses recettes budgétaires. En outre, cette approche, pour peu qu’elle respecte certaines règles en matière de valeur résiduelle, et de portée de la location, permet de ne pas intégrer le reste à payer dans la dette souveraine de l’Etat. Dans le cas de la Grèce, cette spécificité est capitale.

Au delà de la période de location, les équipements peuvent être soit acquis par la Grèce, à un tarif très attractif, d’autant qu’il est basé sur une valeur financière vieille de 25 ans, soit proposer les équipements sur le marché international de l’occasion. Cette dernière solution est d’ailleurs probablement la meilleure, car la dynamique industrielle créée permet d’équilibrer le modèle dans la durée. Le Graphique ci-dessous présente le modèle Socle Défense avec les hypothèses suivantes :

  • 2,6 Md€ de financements par an, maintenu dans la durée
  • 60% des travaux en Grèce, 40% dans le pays partenaire
  • Abondement de 20% de la valeur de la part du pays partenaire
  • 1er loyer de 10%, Valeur résiduelle 20%, durée 25 ans
courbes evo Socle Defense grece Archives | Aviation de chasse | Budgets des armées et effort de Défense

Les dépenses croissent sur 2 ans, puis se stabilisent à leur niveau nominal. Les loyers payés par l’Etat ont une croissance linéaire jusqu’à atteindre le niveau des dépences au bout de 25 ans. Les recettes de l’Etat ont une croissance pendant 6 ans, puis se stabilisent à 75% des dépenses, correspondant à nos hypothèses de départ.

 Le solde budgétaire, enfin, est positif pendant 17 ans, puis se stabilise autour de -500 m€/an, soit le niveau actuel des dépenses. Dans ce modèle, les créations d’emplois en Grèce atteindraient les 82.000, soit une baisse de plus de 1,7% du taux de chômage actuel.

Reste un problème crucial : Comment financer la société d’Etat qui porte les acquisitions ?

Pour cela, le Socle Défense propose la création d’un produit d’épargne dédié, à destination des grecques eux-mêmes, et garanti par l’Etat. Ce type de produit d’Epargne est utilisé en France pour financer la construction de logements sociaux. Il présente l’avantage de ne pas être intégré, lui non plus, dans la dette souveraine du pays. En procédant ainsi, la Grèce disposerait d’un outil de financement totalement autonome, renforçant le lien entre les grecs et leurs armées. Il ne s’agit pas d’une opération de Crowdfunding, une méprise récurrente lorsqu’il s’agit de comprendre le Socle Défense, mais bien d’un produit d’épargne, proposant un rendement de 1,5% sur la base d’une inflation inférieure à 1%. Il est nécessaire de limiter les possibilités de dépôts, trop de dépôts risquant de déstabiliser la rentabilité du modèle.

La France, un partenaire privilégié pour la Grèce

Reste à déterminer quel partenaire serait le plus approprié pour la Grèce. Outre les solutions technologiques, le pays partenaire devra être à même d’accepter les conditions du modèle économique, comme le partage des travaux 60%/40%, et l’abondement d’Etat de 20%. La France répond parfaitement à ces critères !
Du point de vu économique, la France à l’expérience des partages industriels en faveur du partenaire. Dans le cas de l’appel d’offre pour le remplacement des F16 belges, la France proposait la garantit de 5000 emplois sur 20 ans, soit un offset de 75%. Du point de vu technologique, elle est apte à couvrir de façon autonome l’ensemble des besoins militaires du pays, allant des avions de chasse aux blindés légers, en passant par les sous-marins et les satellites.

Le Rafale F3R Archives | Aviation de chasse | Budgets des armées et effort de Défense
En appliquant le Socle Défense, la Grèce pourrait mettre en oeuvre 5 escadrons de Rafale F3R/F4 tout en modernisant les 2 escadrons de mirage 2000-5 dont elle dispose

Dans le cas de notre exemple précédent, de 30 Md€ sur 12 ans, la France pourrait par exemple proposer 5 escadrons de Rafale au standard F3R / F4, soit 100 appareils et 8 Frégates de taille intermédiaire de la classe FDI, suffisant pour maintenir en alerte 3 frégates capables de verrouiller la mer Egée si besoin, et disposant de 64 missiles MdCN de croisière pour une riposte le cas échéant, amplifiant le rôle dissuasif des bâtiments . Le tarif inclut les équipements, les munitions, les outils de formation, et les transferts de technologie. En outre, 1 Md€ sont consacrés à la restauration et modernisation des mirage 2000-5 grecs lors des 2 premières années, ainsi que l’acquisition et la modernisation de 2 Frégates légères d’occasion pour renforcer rapidement les capacités défensives du pays. Pour l’Armée de Terre, enfin, ce niveau d’investissement intègre 120 chars légers EBRC, 300 VBCI équipés de la tourelle CT40, 1200 VBMR, 120 CAESAR 8×8, ainsi que la modernisation des 183 Léopard 2A4 au standard E-MBT équipé de la tourelle du char Leclerc. A cela s’ajoute 1000 missiles anti-char de nouvelle génération MMP avec 150 postes de tir d’infanterie, 400 missiles anti-aérien Mistral NG et 25.000 kits d’infanterie FELIN. Enfin, il comprend 36 hélicoptères de Manoeuvre Caracal, et 48 H160M dont 16 au standard naval. Ces éléments sont donnés à titre d’illustration, mais ont fait l’objet d’une concertation avec certaines autorités militaires et politiques du pays.

Prototype de lEBRC Jaguar lors de sa presentation publique Archives | Aviation de chasse | Budgets des armées et effort de Défense
Les forces terrestres grecques ont également un impérieux besoin de moderniser leurs forces blindées, notamment pour être en mesure de tenir tête à une offensive blindée turque en Thrace orientale

Il ne s’agit là que de la première tranche de modernisation, sur la base du modèle précédemment présenté. Au delà de 12 ans, une nouvelle tranche interviendrait. Un cycle de modernisation est, de façon optimal, composé de 2 tranches de modernisation de 12 ans chacune, avec une année de transition. En outre, la France est très impliquée pour promouvoir des solutions de Défense Européenne. Un tel projet venant de Grèce saura convaincre les autorités du pays de faire les efforts nécessaires pour faire avancer l’idée d’Europe de la Défense. Enfin, et contrairement à beaucoup d’autres pays, la France est très peu impliquée en Turquie du point de vu Défense, et elle a plusieurs fois montré qu’elle n’hésitait pas à intervenir pour soutenir ses alliés. Un partenariat de Défense avec la seule nation européenne continentale nucléaire représente, à lui seul, un effet dissuasif important.

Conclusion

Le Socle Défense, et la doctrine Défense à Valorisation Positive, permettraient donc à la Grèce de redonner à ses forces armées des capacités opérationnelles suffisantes pour dissuader toute agression de la part de la Turquie. Ce modèle permettrait par ailleurs de créer de nombreux emplois, et de renforcer le partenariat stratégique de la Grèce avec une des plus importantes puissances militaires européenne. Cet article ne présente que les grands principes du modèle, et de nombreux aspects ne sont pas abordés pour ne pas nuire à son accessibilité. En tout état de cause, la mise en œuvre d’un tel projet nécessitera une phase préparatoire de plusieurs mois, et d’une longue négociation avec le partenaire choisi. Il n’en demeure pas moins que cette approche répond de façon précise aux très nombreuses contraintes auxquelles la Grèce fait face, tout en permettant d’y apporter une réponse économiquement et socialement positive.

- Publicité -

Pour Aller plus loin

RESEAUX SOCIAUX

Derniers Articles