La Défense perd-elle la bataille de l’opinion publique ?

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En plein salon Euronaval, le plus important salon naval de Défense au monde qui se tient cette semaine au Bourget, les médias nationaux ne semblent s’intéresser qu’à la requête de l’Allemagne demandant à tous les pays européens de cesser de vendre des armes à l’Arabie Saoudite, sur fond d’affaire Kashoggi, et d’intervention au Yemen. Le traitement médiatique s’appui sur un biais visiblement hostile à l’industrie de Défense et son écosystème, révélateur de positions très répandues dans l’opinion, qui engendrent un très faible empressement des élus à s’emparer de ces questions.

Alors que l’industrie de Défense française est indispensable aux finances publiques comme à l’autonomie stratégique du pays, comment expliquer ce désamour de l’opinion publique ? Peut-on inverser la tendance ? Ou doit-on se résoudre à laisser la Défense perdre la bataille de l’opinion publique ?

Une hostilité d’origine multiple affaiblissant les fondations de la Défense

Les oppositions vis-à-vis de l’écosystème Défense peuvent être décomposées en 3 grandes familles :

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  • Les ‘idéalistes’, basant leur discours sur des arguments moraux issus des mouvements pacifistes des années 70/80.
  • Les ‘informés’, qui considèrent que certaines menaces sont négligeables, et donc ne nécessitent pas d’être traitées technologiquement et militairement. 
  • Les ‘économistes’, considérant que l’investissement dans la Défense est économiquement peu efficace, et qu’il doit donc être limité au stricte minimum afin de privilégier d’autres domaines jugés plus importants.

Il est remarquable de constater que ces hostilités ne se limitent pas à certaines philosophies politiques, et sont représentées dans toute la société française, ainsi que dans tous les partis politiques, bien que des nuances fortes puissent être identifiées : Idéalistes proches de l’extrême gauche, ‘informés’ proches de l’extrême droite etc..

Toutefois, certaines populations se distinguent dans ce panel, comme les jeunes diplômés, et surtouts les jeunes ingénieurs, qui plébiscitent souvent les industries de Défense pour leurs innovations et leurs conditions de travail jugées attractives. A l’inverse, le nombre de journalistes ayant de réelles compétences pour comprendre et expliquer la Défense se comptent aujourd’hui sur les doigts de la main en France.

Dans l’écosystème Défense, l’industrie concentre la majorité des opinons défavorables, son image ayant été notamment détériorée par le passé avec des contrats exports parfois douteux (Agosta Pakistanais, Frégates Taiwanaises, France-Afrique ..) et par des déclarations, aussi infondées que dommageables, de nombreux politiques en mal de notoriété. Ainsi, de très nombreux français restent convaincus que le Rafale est un appareil beaucoup trop cher, suite aux déclarations d’.H.Morin alors ministre de la Défense.

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Les armées semblent épargnées par cette hostilité, avec un taux d’adhésion public très respectable de 84%. Toutefois, cette adhésion importante est limitée dans les faits, puisque les 3 armées peinent aujourd’hui à maintenir leurs effectifs, en rencontrant des difficultés tant à recruter qu’à fidéliser militaires et réservistes. En outre, elles ont eu pendant 20 ans toutes les peines du monde à trouver des soutiens politiques pour soutenir leurs budgets, ceci expliquant la détérioration actuelle de l’outil militaire. 

Une tradition de communication aggravante

Il serait aisé de blâmer politiques et médias de cette situation. S’ils ont effectivement une part de responsabilité, ce serait ignorer celle de la communication de l’écosystème Défense, issue d’une tradition qui fut efficace, mais qui ne l’est plus.

Ainsi, l’industrie de Défense nationale ne considère pas, dans l’absolue, la communication vers le public comme un sujet nécessitant une attention particulière, contrairement aux entreprises anglo-saxonnes, italiennes ou même russes et chinoises. Pour les entreprises de Défense françaises, l’objectif est de concentrer leurs actions de communication vers l’écosystème Défense et vers quelques cibles spécifiques identifiées, comme certains parlementaires ou représentants politiques et industriels, en France comme à l’Export. 

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Ainsi, les opinons publiques des pays pou lesquels les entreprises françaises de Défense font face à des concurrents britanniques, suédois, américains ou allemands, considèrent très souvent les équipements français comme moins performants, plus rustiques, ou plus chers. Il suffit de discuter avec des Canadiens ou des Suisses au sujet du Rafale et du Gripen de SAAB pour s’en convaincre. 

Certes, tous les pays n’ont pas de processus démocratiques forts, et mener des opérations de communication vers les populations égyptiennes ou Qatari n’aurait pas beaucoup d’intérêt. Mais en Europe, comme dans les pays à traditions démocratiques, l’opinion publique prend un poids de plus en plus déterminant dans les processus d’acquisition d’équipements de Défense. Ainsi, en France et partout en Europe, en Inde, ou au Canada, pour ne citer qu’eux, l’opinion publique influence bien souvent les positions des élites politiques, et détermine donc la puissance du réseau d’influence en faveur de l’offre soutenue.

En Belgique, à aucun moment la France n’a cherché à présenter à l’opinion publique les bénéfices de sa proposition, notamment du point de vue des finances publiques. Pourtant, l’offre faite était sans équivalent ! En effet, la proposition française permettait aux forces aériennes belges de s’équiper de 68 Rafales et de les mettre en Å“uvre sur une période de 20 ans pour un cout 75% inférieur à ceux de 34 F35A sur la même période, soit une économie de 10 Md€ sur 20 ans pour le budget fédéral belge. 

Du coté des militaires et du Ministère des Armées, le discours est plus efficace, mais reste dans un cadre très contraint, interdisant par exemple de désigner des adversaires étatiques potentiels, ou de faire usage de trop d’enthousiasme concernant les équipements et les actions militaires des forces. Pourtant, il y aurait vraiment de quoi dire ! La communication traditionnelle des armées explique-t-elle, en partie, le manque d’enthousiasme pour rejoindre les forces ? …

Gagner le cœur des français pour regagner celui des politiques

Les discours hostiles profitent donc surtout de l’absence d’un contre-discours, dont l’objectif serait de rétablir les faits, et de présenter au grand public l’écosystème Défense de façon positive, dynamique et attractive. Pour ce faire, il serait possible d’envisager une stratégie en 3 volets :

  • Un volet institutionnel, visant à remettre la Défense dans le débat national, en communicant plus explicitement sur les menaces, les besoins des armées, les hommes et leurs équipements. Le documentaire « Serval, une brigade au combat Â» montre que le savoir faire existe en France. Il suffirait de l’amplifier et d’en étendre la diffusion.
  • Un volet technologique, visant à créer l’attachement des français aux équipements de l’industrie de Défense nationale. Les médias digitaux et audiovisuels sont très adaptés pour cela.
  • Un volet économique, pour expliquer le rôle et le poids de l’industrie de Défense dans l’économie française, son rôle dans les équilibres sociaux, et ses effets en matière d’aménagement du territoire.

Un embargo sur les livraisons d’équipements de Défense à l’Arabie Saoudite, donc s’appliquant à l’Egypte et probablement aux Emirats Arabes Unis, entrainerait une baisse de 3,5 Md€ / an de l’activité Défense, supprimant 40.000 des 200.000 emplois directs, et 70.000 emplois induits. Les 110.000 emplois perdus entraineraient une perte de 3 Md€ en matière de recettes sociales, et une augmentation de 3 Md€ des couts sociaux, ainsi que 1 Md€ de manque à gagner fiscal, soit une facture de 7 Md€ pour l’Etat, plus de 3,5% de son budget annuel. Il faudrait donc augmenter les impôts sur le revenu de presque 8% pour compenser ces pertes.

L’efficacité du discours porté dépendra de son systématisme à proposer un contenu factuel au plus vite et au plus prés des publics ciblés. Les médias digitaux permettent évidemment de porter une part significative de ce discours. Toutefois, il semble nécessaire d’étendre leurs diffusions, ultérieurement, vers des médias traditionnels et notamment audiovisuels, de sorte à en accroitre l’efficacité et la diffusion dans une gestion de dynamique médiatique à long terme. En outre, les médias digitaux comme audiovisuels se prêtent au portage linguistique, permettant d’industrialiser les actions de communication dans une démarche globale visant à engendrer un soutien public des pays dans lesquels l’industrie française propose ses équipements, ou dans lesquels les armées françaises sont déployées.

Une telle mécanique pourrait, enfin, s’avérer être un relais efficace porter les propositions françaises en matière d’Europe de la Défense, directement auprès des opinions publiques européennes, sans filtre médiatique et/ou politique national.

Conclusion

La Défense se réforme en profondeur depuis quelques années, mettant en avant l’innovation, de nouvelles solutions de maintenances, l’analyse prospective et bien d’autres domaines. Toutefois, sans le soutien de l’opinion publique, son image continuera de se dégrader, fragilisant avec elle la base de ses soutiens politiques. Par un léger changement de stratégie de communication des industries et des autorités militaires et civiles de la Défense, il serait possible, à moindre frais, d’apporter un discours alternatif positif aux discours hostiles, et d’entamer ainsi un profond changement dans la perception et l’adhésion du public envers l’écosystème Défense. Le dispositif qui en résulterait permettrait, en outre, de porter ces mêmes messages, ou des messages dédiés, vers les opinions publiques des partenaires de la France.

Pour un écosystème de représentant plus de 50 Md€ par an pour l’économie française, une telle initiative, très limitée, présenterait un rapport bénéfices sur investissements très positif, à court, moyen et long terme. Il faudra, néanmoins, accepter de faire évoluer les paradigmes de communication actuels, ce qui est toujours un exercice complexe.

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