La consolidation navale européenne face à ses contradictions

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Lors de la présentation du plan « MERCATOR », encadrant l’évolution de la Marine Nationale jusqu’en 2030, le chef d’Etat-Major de la Marine nationale, l’Amiral Prazuck, a implicitement confirmé une crainte qui circulait depuis plusieurs années. En effet, avec les errements du plan BATSIMAR, sensé remplacer les avisos et patrouilleurs de la royale, l’ensemble de ces navires sera, à l’avenir, qualifiée de patrouilleur, éliminant de fait la dimension combattante des bâtiments. Il n’est donc pas question de remplacer les 17 avisos de la classe Estienne D’Orves A69, requalifiés patrouilleurs hauturiers en 2000 après la vente de 6 exemplaires à la Marine Turque. Les patrouilleurs fussent-ils hauturiers n’ont, en effet, pas de capacité anti-sous-marine ou antinavire comme les A69, ni aucune capacité d’autodéfense antiaérienne. Ce sont des bâtiments de service public armé, et non des bâtiments de guerre.

Comme si cela ne suffisait pas, le document fait état de la disparition des « frégates de second rang », représentée aujourd’hui par les 5 frégates légères furtives de la classe LaFayette. Or, ces 5 bâtiments de la Marine Nationale représentent un atout important, en permettant à la Marine d’envoyer un navire de guerre significatif dans des zones tendues, sans devoir y consacrer une de ses précieuses et rares frégates de 1errang, dont le rôle (et le nombre) est avant tout d’escorter les navires de projection de force de la Marine, son porte-avions nucléaire et ses 3 bâtiments de Projection et de Commandement. 

En tout état de cause, le format de la flotte combattante de haute-mer française connaitra donc une contraction de 25% entre 2025 et 2030, passant de 20 à 15 navires, et sa flotte de corvette aura, elle intégralement disparue. Paradoxalement, en terme de tonnage, l’écart devrait être faible, puisque la Marine devrait recevoir 4 Pétroliers Ravitailleurs Volcano pour remplacer ses 3 Bâtiments de Ravitaillement et de Commandement. Pour une nation se voulant tournée vers la mer, ou l’ultramarin comme il est coutume de dire, et disposant de la 2eme ZEE mondiale, ces chiffres ont quelque chose d’extrêmement contradictoire.

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Au delà des aspects purement opérationnels déjà très préoccupants, un autre paramètre doit être pris en compte, qui lui s’oppose à la volonté d’autonomie stratégique du président Macron. En effet, le nouveau format de la Marine ne permettra pas de commander, sur la durée, que 2 navires de combat de surface par tranche de 3 ans, en moyenne. Surtout, avec les 8 FREMM et les 5 FTI qui auront moins de 15 ans, les chantiers de Naval Group vont devoir se limiter à la construction des 6 nouvelles frégates de surveillance et le remplacement des 2 Horizons sur les 20 années de 2030 à 2050. Inutile de dire que ce volume de commande domestique signe l’arrêt de mort du site Naval Group de Lorient.

Car, en effet, là ou DNCS avait compensé la faiblesse des commandes domestiques de 1990 à 2010 par de nombreuses exportations, la situation est toute autre en 2018, et à fortiori en 2030, avec l’apparition de nombreuses offres concurrentes en Europe (Espagne) comme ailleurs (Turquie, Corée du Sud, Afrique du Sud). A cela s’ajoute la montée en puissance des offres chinoises, proposant un rapport performances/prix très attractif, et le retour de la Russie sur ce marché. Enfin, désormais, la majorité des commandes se font dans le cadre d’une construction locale et de transferts de technologies, comme les corvettes Gowind Malaysienne et Egyptienne, ou les sous-marins Scorpènes Indiens. Nul doute que, comme la Corée du Sud l’a récemment montré en lançant son premier sous-marin AIP de construction locale, tous ces pays tenteront de se positionner sur ce marché d’ici 2030.

Le phénomène est aujourd’hui le même pour l’Italien Fincantieri, dont le gouvernement vient d’annoncer qu’il maintiendra son effort de défense à son niveau actuel, inferieur à 1,5% du PIB du pays. En 2030, Fincantieri aura livré à la Marine Italienne ses 10 FREMM et ses 8 PPI, comme le porte-aéronef Trieste, et n’aura donc comme perspective domestique que le remplacement des 2 frégates Horizon à horizon 2045, comme pour la France.

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Ce phénomène a été anticipé par les 2 industriels, qui tentent de conjurer le sort par une collaboration qui, espèrent-ils, permettra d’optimiser les conversions sur les marchés exports, en évitant les affrontements fratricides, comme celui qui oppose aujourd’hui le français Naval Group à l’Allemand TKMS en Egypte. Car pour ce dernier, la situation est identique que pour les chantiers français et allemand, avec un portefeuille virtuel domestique sur la période 2030-2050 limité à 4 corvettes et espèrent-ils, 3 sous-marins sur les 6 Type 2014 qui devront être remplacé à partir de 2045.

Les perspectives de commandes domestiques des 3 plus grands constructeurs navals européens ne permettraient de garantir l’activité que d’un seul. Eu égard aux évolutions du marché extérieur, le potentiel d’export sur la même période ne dépassera pas l’activité d’un acteur. En d’autre terme, parmi ces 3 géants industriels, chacun au cœur d’un écosystème de plusieurs dizaines de milliers d’emplois, au moins l’un d’eux devra disparaître dans les 20 à 30 années à venir. Quand aux deux rescapés, rien ne garanti leur pérennité au delà de deux autres décennies. 

C’est probablement conscient de cette situation que le comité d’administration de TKMS a décidé de détacher les activités du chantier naval et bureau d’études, de sorte à pouvoir répondre rapidement à une offre de rachat. 

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La consolidation industrielle permettra certainement de réduire, dans une certaine mesure, les évolutions du marché internationale, mais pas de compenser le défaut d’activité majeur du modèle économique actuel. En outre, les tensions entre les acteurs iront grandissantes au fur-et-à-mesure que les difficultés financières et industrielles apparaitront. 

Les gouvernements des 3 pays seraient bien venu de considérer les couts induits par la disparition annoncée de leurs savoir faire industriels, de ses effets sur l’emploi, de l’obligation d’importer des technologies et des bâtiments dans le futur, et de l’abandon de puissance et d’autonomie stratégique que représente les quelques économies à court terme espérées par la planification industrielle et budgétaire actuelle. La doctrine Défense à Valorisation Positive apporte des réponses globales qui permettraient aux 3 chantiers non seulement d’être maintenu, mais de développer leur activité en dépit des nouveaux acteurs internationaux, tout en renforçant la puissance navale européenne, avec un solde budgétaire et fiscal positif pour les Etats. 

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