Peut-on continuer à vendre des armes à l’Arabie Saoudite ?

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Après l’Allemagne et la Suède, c’est au tour de l’Espagne de s’interroger sur la responsabilité morale du pays lorsqu’il vend des armes à l’Arabie Saoudite, elle-même engagée dans une guerre destructrice aux fondements très douteux. Ainsi, le gouvernement Espagnol a annoncé sont intention d’annuler une commande de 400 bombes guidées destinées aux forces aériennes saoudiennes, ces bombes pouvant être utilisées dans le conflit au Yemen.

Comme on pouvait s’y attendre, les autorités du Royaume Saoudien ont rapidement mis en balance cette commande d’un montant somme toute modeste de 9,2 millions d’euros, avec les 1,8 Md€ de la commande de 5 corvettes à Navantia, contrat signifié il n’y a que quelques mois lors de la tournée du prince héritier bin Salman en Europe.

En France également, des voix s’élèvent pour dénoncer la vente d’armes à divers pays, dont la classification dépend souvent de l’interlocuteur. Ainsi, si de nombreuses voix en France dénoncent volontiers les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite, aux Emirats Arabes Unis ou à l’Egypte, ces mêmes voix s’étaient, pour la plupart, émues de l’annulation de la livraison des 2 BPC à la Russie faisant suite à l’annexion de la Crimée.

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Une lecture rapide de la problématique conclue à opposer les impératifs moraux aux impératifs économiques du pays. Ceci dit, dans tous les cas, le pays acheteur trouvera très rapidement un autre fournisseur d’armes en cas de retrait de la France d’un marché. En outre, la vente d’armes assure un contrôle partiel mais réel vis-à-vis du pays importateur, comme ce fut le le cas lorsque la France empêcha l’Argentine d’utiliser la majorité de ses missiles exocets aux Malouines, ou lors de la campagne Tempête du désert, les avions alliés disposant des leurres pour leurrer les missiles français utilisés par l’aviation irakienne. Ces deux arguments tendent à privilégier une position « pragmatique », qui a longtemps été celle de la France, et que l’on a justifiée selon ces arguments.

En revanche, on ne peut ignorer que de tels contrats nuisent à l’image même du pays, et des justifications légalistes ou morales lors d’intervention à l’étranger.

Un étude plus approfondie révèle un problème beaucoup plus fondamental que le dilemme moral. En effet, il est révélateur de l’exposition critique de nos industries de Défense aux risques liés aux exportations. Aujourd’hui, les exportations représentent 50% du chiffre d’affaires des industries de défense françaises, qui emploient 200.000 collaborateurs directs, et génèrent 600 à 800.000 emplois induits. 

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Ces exportations sont donc indispensables au maintien et à la survie même de cette industrie, d’autant que sur les 50% du CA « domestique », un quart sont consacrés à la dissuasion  et à ses technologies confidentielles et non exportables.

Par ailleurs, ces exportations sont très souvent concentrées sur un nombre réduit de pays. Depuis 2005, plus de 70% des exportations françaises en matière d’équipements de Défense ont été le fait de 5 pays (Chine, Inde, Egypte, Qatar et Arabie Saoudite), aggravant encore d’avantages cette exposition au risque.

Car d’autres acteurs investissent aujourd’hui le marché mondial de l’armement, comme la Turquie, Israël, la Corée du Sud et même le Japon. Mais c’est surtout l’arrivée de la Chine qui risque de bouleverser profondément ce marché, et de réduire sensiblement les opportunités françaises, et même européennes, en Afrique, Asie et Amérique du Sud. N’oublions pas non plus le retour très marqué de la Russie et l’agressivité des Etats-Unis, qui atteint des sommets jamais égalés jusqu’ici.

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De fait, l’industrie de Défense Française et Européenne va devoir, et très rapidement, évoluer pour subsister. Il est d’ailleurs plus que probable que de nombreux acteurs européens ne seront plus d’ici 2030.

Il y a aujourd’hui trois voix qui permettraient de résister à cette restructuration mondiale :

  • La concentration des entreprises européennes, avec son corolaire, cesser de proposer des usines clés en main en solution offset à chaque contrat d’équipements.
  • Protéger, à l’échelle européenne, les marchés de Défense, tant par des initiatives politiques (Europe de la Défense) que par des initiatives Economiques (compensations fiscales partagées)
  • Enfin, et surtout, il sera nécessaire d’augmenter les volumes de commandes « domestiques » , de sorte à ce que l’exposition relative au risque export soit ramené à des niveaux raisonnables n’exposant pas l’entreprise en cas de problème (20-25% maximum)

C’est à ces conditions, et à ces conditions seulement, que les pays Européens pourront préserver leur industrie de Défense et leur autonomie stratégique, tout en renforçant la crédibilité Européenne sur la scène internationale. Et cela simplifiera, par là même, les décisions morales sur les exportations d’armement …

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